Dokument-Nr. 1415
Müller, Joseph an [Gasparri, Pietro]
Freiburg im Üechtland, 22. März 1919

Monseigneur,
C'est avec une profonde douleur que j'ai l'honneur de vous signaler le grand danger qui menace actuellement l'Eglise.
Je crois que rien pourra mieux indigner la situation dans laquelle se trouve le mouvement ouvrier catholique dans une partie de l'Europe, qu'un bref résumé à l'occasion du Congrès international d'ouvriers chrétiens-sociaux.
I.°
Les journaux rapportent que le congrès a envoyé à Sa Sainteté le Pape un télégramme pour le remercier en sa qualité de bienfaiteur (Œuvre des prisonniers p. ex.) et de pacificateur (Note du 1er août 1917) durant la guerre. Cela est vrai.
Mais celui qui saura que, pendant ces 3 (4) jours du Congrès et à trois reprises la question a été débattue s'il fallait envoyer à Rome, ou une lettre de remerciements ou s'il suffisait que dans les résolutions à soumettre à la Conférence des Alliés à Paris de mentionner en premier lieu la note du Souverain Pontife du 1er août 1917 (et ensuite les Messages du président Wilson), n'attachera pas une grande importance à cet
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hommage. L'opposition contre le télégramme est sortie des rangs de catholiques et en première ligne d'ecclésiastiques qui craignaient la non-adhésion des protestants.
Constatons tout d'abord que parmi les délégués seuls deux protestants étaient présents, qui n'auraient guère pensé à faire opposition, si on n'avait pas attiré leur attention sur ce point. Monseigneur Meyenberg, professeur de théologie à Lucerne, est de même avis.
L'opposition se fit tout d'abord jour à l'assemblée plénière du 18 mars. Après l'excellent discours de Monseigneur Meyenberg sur la Note du Saint-Père du 1er août 1917 la discussion commença sur son rapport.
Je constate une faute dans l'organisation qui a laissé s'ouvrir une discussion sur ce sujet, car un brillant exposé ne gagne rien à être discuté.
Une motion (Antrag) a été faite d'envoyer un télégramme au Souverain Pontife. Un autre délegué (D. Ehret, Lituanie-Suisse) propose d'en envoyer un à Monsieur Wilson: C'est le tact politique qui l'exigea <exige>1.br/>Monsieur Léopold Kunshak, député de Vienne, répond "que ceci est une autre question. Comme qu'il en soit, il ne plaît aux délégués allemands de placer le Souverain Pontife sur le même rang que le Président Wilson." (Il parle au point de vue national).
On discute ici et là sur l'importance de la Note papale et finalement on propose, – pour ne pas provoquer un scandale, – de sou<re>mettre2 l'examen de cette question à une commission spéci-
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ale.
La commission se compose: (Suisse) Monseigneur Meyenberg de Lucerne, Monsieur le Dr. Georges Casella, ancien Conseiller d'État à Lugano; le soussigné; – (Allemagne) Monsieur l'abbé Dr. Brauns, député de l'Assemblée nationale de Weimar, de München-Gladbach; (Autriche) Monsieur Léopold Kunshak, député à l'Assemblée nationale de Vienne; – un délégué hollandais, dont je ne connais pas le nom.
Celle-ci a un double devoir: 1° de rédiger le texte de la résolution à envoyer à la Conférence des Alliés à Paris;
2° le text de la résolution concernant l'activité pacifique du Souverain Pontife. Le texte de la première résolution a été élaboré pour Monseigneur Meyenberg; le deuxième par le soussigné.
Avant que les membres de la commission soient présents, Monsieur le directeur Dr.  Brauns de München-Gladbach fait observer à moi en présence du délégué hollandais (catholique) que une notion est inacceptable: "Que diront les ouvriers (Gewerkschafter) protestants allemands s'ils 3 en apprenant que nous avons voté une telle résolution? Nous et ensuite les Hollandais?"
Je réponds là-dessus "que la 4e Commission de la Conférence internationale pour la Société des Nations à Berne – (où le soussigné était délégué et membre de la Commission concernant l'arbitrage international) – a pris une résolution qui va beaucoup loin. Il s'agit ici d'une chose compréhensible par elle même et je suis persuadé que le Sultan ou les Juifs de New-York
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(lettre du 30 décembre 1915!) formuleraient la résolution mieux que moi. Il s'agit seulement de dire que: la guerre a démontré que la Papauté est une institution nécessaire au double point de vue social et à celui du droit international, comme dans les siècles passés. Et les protestants allemands ne doivent que remercier Sa Sainteté pour son action charitable et pacifique."
Monsieur le directeur Dr. Brauns déclare " que cette formule est inacceptable. Elle pourrait être votée par un congrès de pacifistes, <mais>4 non point par nous."
Le délégué hollandais (catholique) sourit, voulant dire: que nous perdons beaucoup de paroles là-dessus, nous sommes venus à Lucerne pour discuter d'autres questions: c'est à dire des questions économiques et politiques.
Autre temps arrive Mgr. Meyenberg et Monsieur l'abbé Dr. Brauns propose d'appeler un protestant de l'assemblée plénière, afin que les protestants ne se trouvent pas en présence d'un fait accompli de la commission. Le délégué hollandais appelle son compatriote.
On discute d'abord la résolution à présenter à Paris où il ne se manifeste aucune différence d'opinion. Il est midi et à la suite de ma proposition (motion), il est décidé, de reprendre la discussion à 2 heures.
Après-midi Monsieur le Dr. Brauns revient à la première difficulté; il dit littéralement: "Le Pape, comme homme de la religion (représentant; en allemand: Der Papst als Mann der Religion hat die Religion zu predigen und macht er Politik, so kommt er in der Teufels Küche) n'a à s'occuper que de la religion: s'il s'occupe de
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la politique, il tombe dans la cuisine du diable. La motion est inadmissible. J'ai des milliers de protestants dans mon organisation."
Monseigneur Meyenberg soutient vigoureusement ma thèse. Monsieur le docteur G. Casella également. Mgr. Meyenberg dit "Mais la formule ne contient rien d'extraordinaire."
Le délégué hollandais protestant déclare: "Nous ne sommes pas ici un Congrès catholique, mais chrétien."
Monsieur Léopold Kunshak (Vienne): "Je n'ai que des catholiques dans mes deux organisations, que je représent, mais je crois que la formule est inadmissible pour les Allemands. Si vous (le soussigné) persistez à l'admettre, il y aura grand débat à l'assemblée plénière et congrès échouera (wird gesprengt)."
Ma dernière réponse: " Je ne veux pas qu'on be 5 débatte à nouveau devant l'assemblée plénière; je désire l'entente entre tous les délégués et c'est pour cela que je retire ma motion."
Là-dessus, nous nous rendîmes à l'assemblée plénière, où la résolution pour Paris fut immédiatement lue. Ensuite un délégué demande: Où est le texte du télégramme au Saint-Père? Oublié?
Le président (Monsieur Widmer de Zürich) informe l'assemblée que le télégramme sera présenté à l'assemblée le lendemain Vendredi matin, je rencontrai Mgr Meyenberg dans la grand salle, qui me dit:"J'ai rédigé maintenant le télégramme au Saint Père; c'est le minimum que nous puissions présenter à Rome."
Je demande: "Et que dites vous, Monseigneur, de la séance de la Commission de hier?"
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Monseigneur Meyenberg:"On ne peut rien faire avec eux" (Dr. Brauns) "L'opposition a été provoquée (par Monsieur le Dr. Brauns)"
Finalement, le télégramme a été lu Vendredi matin. Le délégué protestant hollandais, entre autres, émit quelques observations (protestations), mais heureusement il ne fut pas compris, puis qu'il parle dans sa langue maternelle (comme tous les délégués hollandais (7) à l'exception d'un seul). Le télégramme fut approuvé.
II°
Le jeudi matin, j'eus l'occasion de parler à Monsieur l'abbé Dr.  Brauns. Nous nous rendîmes ensemble de l'hôtel (Union) à l'assemblée. Je mis la conversation sur le thème de la propriété privée.
Il dirigea bientôt la conversation sur ma motion et dit: "Que voyez-vous que le peuple allemand pense du Pape? On <en>6 a assez en Allemagne, de la politique romaine. Nous voulons avoir autant de cardinaux que les autres États."
Je répondis:" Mais le professeur Ebers (de l'Université de Münster) a écrit dans sa brochure (la Papauté et l'Allemagne) que l'Allemagne avait or peu de cardinaux, parce qu'il n'y a que peu d'archevêques et qu'il y était fait beaucoup de difficultés de la part des gouvernements: que l'on pense à Posen, Fribourg-en Breisgau et même à Münich."
Monsieur l'abbé Dr. Brauns:"Je connais Rome suffisamment." Si la volonté y avait été, la voie en aurait été trouvée. "Qu'a fait le Pape pour notre peuple pendant la guerre?"
Ma réponse: "Je crois que les protestants peuvent en être
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satisfaits. Songez à la situation difficile du Saint-Siège pendant la guerre."
III°
Non moins clairement ressort cette situation d'une conversation entre Monseigneur Walterbach et Monsieur Widmer (Zürich) au Buffet de la Gare.
Monseigneur Charles Wal terbach, Praeses [sic] des organisations ouvrières catholiques de l'Allemagne du Sud, rédacteurs en chef et député à Munich: "Nous exigeons la complète liberté d'action du mouvement ouvrier vis à vis des évêques et vis à vis de Rome, pour autant qu'il ne s'agit pas de questions touchant la foi et la morale."
(J'ajoute: Qu'à ici la morale? L'interlocuteur de la gare (Mgr. Walterbach), comme Monsieur l'abbé Dr. Brauns, déclarèrent dans l'assemblée plénière (contre Monsieur le professeur Dr. Beck, Fribourg et Mgr. Meyenberg), que le congrès ne s'occuperait que des questions sociales et non point des morales; les théologiens moralistes ne seraient pas compétents.)
IV°
Non moins claires sont les déclarations des délégués catholiques, de jeudi soir, qui s'occupèrent de la création d'une "Internationale catholique."
Prirent la parole: d'abord Mgr Walterbach, camérier secret de Sa Sainteté; ensuite Monsieur le chauvine Dr. Ratzbach de Fribourg-en Breisgau; Monsieur G. Baumberger, ancien rédacteur au chef à Zürich; – un délégué hollandais; – Monsieur L. Kunshak de Vienne; Monsieur Zimmermann, administrateur ici à Fribourg; Monsieur André, secrétaire ouvrier, de Cologne; Monsieur Joseph
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Joos, rédacteur, de München-Gladbach.
Monsieur André, secrétaire ouvrier,: "Des congrès pareils (où professeurs [académiciens] et théologiens conduisent les débats) ne plaisent pas au monde ouvrier. Nous ne voulons pas de collèges d'ecclésiastiques où l'élément laïque est mis au froid."
En allemand: "Derartige Kongrengebilde [sic] lässt sich die Arbeiterschaft nicht gefallen." "Wir wollen kein Kollegium von Geistlichen, wo das Laienelement kalt gestellt ist."
Mgr Walterbach: "Dans l'Internationale ouvrière catholique il ne s'agit d'une entente (Zusammengehen) entre les organisations ouvrières et puisque nous n'avons pas des statuts, nous ne sommes pas obligés de les présenter à Rome."
V
Je constate:
1° Une différence d'opinion entre les délégués de Berlin d'une part et ceux de l'Allemagne occidentale et méridionale, c'est à dire de Cologne, de München-Gladbach, de Münich et de Vienne d'autre part. Je suis relativement satisfait des délégués de Berlin; <aux>7 autres, il manque l'idéalisme qui doit animer les dirigeants de l'action catholique; ils sont exclusivement réalistes, politiciens.
2°. Une grande différence de vues entre les délégués de l'Autriche, de l'Allemagne et des Pays-Bas d'une part – et de la Suisse d'autre part. Ces derniers n'étant pas influencés par la guerre et la révolution (bolchévisme).
Cette divergence ressort clairement dans la discussion de toutes les questions importantes. Pour peu les délégués allemands (oppor-
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tunistes) auraient sanctionné formellement la révolution.
3° Une Internationale ouvrière catholique constitue pour l'Église un grand danger. Le danger peut être diminué et peut-être évité si une Internationale sociale catholique pouvait être organisée; c'est à dire une Internationale où la grande proportion serait formée de théologiens, de professeurs, afin d'atteindre au point de vue idéal de l'Église, en opposition au réalisme exaspéré des délégués ouvriers.
L'Internationale ouvrière catholique renferme en elle-même le danger que dans l'avenir "des conseils d'ouvriers catholiques" (Congrès des ouvriers) imposent au Saint-Siège leurs décisions, en prétendant qu'il ne s'agirait que des questions "sociales".
Je ne regrette pas que les organisations de l'Entente n'aient pas été représentées à Lucerne. Peut-être auraient elles été, elles aussi, atteintes par la politique opportuniste (allemande); comme les délégués suisses jusqu'à un certain degré.
C'est en toute conscience que j'ai exposé ici mon opinion personnelle et je vous prie,
Monseigneur,
d'agréer l'expression de mon profond respect!
Votre serviteur dévoué en Jésus Christ:
Joseph Müller, Dr en droit,
Secrétaire de la Société de droit international,
siège central à Fribourg, Suisse.
1Hds. durchgestrichen und eingefügt vom Verfasser.
2Hds. durchgestrichen und eingefügt vom Verfasser.
3Hds. gestrichen, vermutlich vom Verfasser.
4Hds. eingefügt vom Verfasser.
5Hds. gestrichen, vermutlich vom Verfasser.
6Hds. eingefügt vom Verfasser.
7Hds. eingefügt, vermutlich vom Verfasser.
Empfohlene Zitierweise
Müller, Joseph an [Gasparri, Pietro] vom 22. März 1919, Anlage, in: 'Kritische Online-Edition der Nuntiaturberichte Eugenio Pacellis (1917-1929)', Dokument Nr. 1415, URL: www.pacelli-edition.de/Dokument/1415. Letzter Zugriff am: 24.04.2024.
Online seit 04.06.2012, letzte Änderung am 10.09.2018.