Dokument-Nr. 9556
Demulier, Henri an Benedikt XV.
Beuron, 27. April 1918

À Sa Sainteté le Pape Benoît XV.
I. Objet de ce rapport.
Le 21 Novembre 1911, à Bologne, j'exposai à Votre Sainteté dans quelles conditions je venais d'être suspendu de mes fonctions de curé de Robersart (diocèse de Cambrai).
Il y a quelques jours, en arrivant à Beuron où le fils de S. Benoît me firent le plus aimable accueil, j'ai écrit à S. G. Mgr. Chollet, archevêque de Cambrai, pour lui demander de lever cette suspense et me permettre de reprendre la direction de ma paroisse. J'espère recevoir une réponse favorable.
La difficulté sera d'obtenir de l'autorité militaire la permission de m'y rendre: elle est située dans la zone militaire allemande et je suis déclaré suspect d'espionnage.
Le présent rapport a pour but de prouver la fausseté de cette accusation. J'avais pensé d'abord l'adresser à l'autorité militaire; mais, comme il y va de la réputation de plusieurs prêtres et même de personnages ecclésiastiques, j'ai cru préférable de le soumettre au jugement de Votre Sainteté qui a déjà donné tant de preuves de sa sollicitude pour les prisonniers de guerre et qui voudra peut-être m'aider à atteindre le but de mes désirs; [sic]
Je suivrai l'ordre des questions posées par les juges qui m'ont interrogé à Trélon (diocèse de Cambrai) le 1er Octobre 1915. Je ne leur ai répondu que d'une façon évasive pour le même motif qui me détermine à m'adresser à Votre Sainteté.
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II. Pourquoi j'allai en Suisse en Juillet 1914.
Je rappellerai d'abord brièvement comment j'ai quitté ma paroisse. Le 29 Mai 1911 l'autorité diocésaine de Cambrai me demanda démission de curé de Robersart en me reprochant d'être trop sévère à l'égard de mes paroissiens. J'avais pourtant, au début de l'année, reçu du Vicaire général une lettre des plus élogieuses en réponse à mon rapport sur l'application du décret "Quam singulari". Comme j'avais confiance de ne pas m'être écarté de l'obéissance à l'Eglise, comme on ne me parlait ni de suspense ni de l'application du décret "Maxima cura", et comme on ne déterminait pas en quoi j'étais trop sévère, je crus de mon devoir de continuer mon ministère comme auparavant malgré les tracasseries du maire agissant par ordre préfectoral et sans doute en vertu de la loi de Séparation... Un délégué de l'archevêque vint alors lire en chaire un décret de suspense. C'était le 19 Novembre 1911. Je fis observer à mes paroissiens que, si je perdais mes pouvoirs, je restais néanmoins leur curé, tant que ne je serais pas destitué conformément au décret "Maxima cura". Le jour même je partis pour Rome, non sans en avoir averti l'autorité diocésaine. La Congrégation du Concile, que je consultai sur l'ordre de Pie X (Mgr. Bressan me communiqua cet ordre), m'invita à me soumettre, ce que je fis aussitôt par une lettre adressée au Vicaire général le 8 Février 1912. J'ignore pourquoi elle ne vint pas. <je ne reçus pas de réponse.>1
Aussitôt après mon départ pour Rome, le maire de Robersart expulsa du presbytère communal ma mère, décédée depuis en 1916, qui se vit obligée d'emporter mon mobilier à Tourcoing. Ainsi l'avait décidé l'autorité diocésaine.
En attendant ce que je regardais comme la réparation d'une injustice à mon égard & à l'égard des âmes dont j'avais la charge, je me mis à voyager. En 1914 je passai les mois de mai & de juin à la bibliothèque du grand séminaire de Cambrai. Quand les vacances arrivèrent, comme j'étais sans domicile, le supérieur, vicaire général du nouveau diocèse de Lille, m'offrit de la part de l'évêque de Lille l'argent nécessaire pour les passer en Suisse. Je refusai l'argent puisque j'étais étranger au diocèse de Lille, mais me rendis en Suisse où le curé de Disentis (Grisons) m'enseigna les éléments de la langue allemande. J'avais déjà passé en Suisse l'été précédent; comme je m'attendais à y retourner chaque année, il m'était utile de connaître cette langue.
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III. Pourquoi j'allai en pays occupé.
Quand je vis la guerre se prolonger & l'armée allemande occuper Robersart, je songeai à aller solliciter de Mgr. l'archevêque de Cambrai la liberté de reprendre la direction de ma paroisse, supposant que les dispositions de mes paroissiens & surtout de leurs conseillers, que je préfère ne pas connaître, s'étaient améliorées à l'école de l'adversité. Je demandai un passeport pour Cambrai au consul de Flessingue d'abord, au gouverneur de Liège ensuite. Ce dernier fit faire le passeport pour Robersart où j'ai gardé mon domicile légal. Il me fut ainsi impossible d'arriver jusqu'à Cambrai & d'atteindre le but principal de mon voyage. Comme, en raison de l'impossibilité de communiquer avec l'archevêque en zone d'étapes, le doyen du Quesnoy, voisin de Robersart, possède les pouvoirs de Vicaire général pour l'arrondissement d'Avesnes dont il est archiprêtre, j'allai le consulter. Ne croyant pas pouvoir licitement lever de lui-même la suspense dont j'étais frappé pour Robersart, il me demanda de me rendre dans le canton de Trélon qui souffrait le plus de la pénurie de prêtres & me désigna pour diriger l'importante paroisse de Glageon en l'absence du curé, prisonnier. Mais un vicaire de Fourmies venait d'être détaché à Glageon & le doyen de Trélon me pria d'aller à Eppe-Sauvage où aucun service religieux n'avait eu lieu le dimanche depuis le départ du curé qui avait quitté la paroisse devant l'invasion de l'armée allemande. Les autorités militaires, dont j'eus toujours à me louer jusque là, me donnèrent avec empressement les passeports nécessaires à ces divers déplacement.
J'arrivai à Eppe-Sauvage le 17 Septembre 1915. Le 29 le poste militaire fut complètement renouvelé. En arrivant les nouveaux venus m'arrêtèrent comme suspecte d'espionnage.
Je vins encore en pays occupé pour apporter un peu de réconfort moral aux populations si républicaines du Nord gémissant sous le joug militariste: presque tous les députés du Nord avaient voté contre la lois de trois ans.
Enfin j'étais inquiet au sujet de la santé de ma mère, âgée de 80 ans & dont j'étais l'unique fils, santé qui était fortement altérée depuis son expulsion de Robersart.
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IV. Pourquoi je restai quelque temps en Suisse.
Comme, en vertu de la loi française, j'étais exempté depuis 1899 de toute obligation militaire & croyant que la guerre serait de courte durée, je ne me hâtai pas de rentrer en France où les prêtres ne manquent pas dans l'armée. L'absence de touristes me facilitait le recueillement, l'étude, voire le sport & me permettait surtout d'observer le peuple suisse dans sa vie normale, troublée seulement par une mobilisation partielle; [sic]
En Septembre je me rendis dans la Suisse centrale où le chapelain de Melchtal m'obtint un permis de séjour chez lui pour la durée de la guerre. Plusieurs autres prêtres m'offrirent également de me recevoir tant que dureraient les hostilités.
V. Pourquoi j'allai en France.
En Novembre 1914, quand je vis qu'une campagne d'hiver était probable, je pensai d'abord gagner Cambrai en traversant l'Allemagne; mais tous ceux à qui j'en parlai déclarèrent ce projet irréalisable, les consuls allemands ne délivrant pas aux Français des passeports pour l'Allemagne. Etais-je sûr de réussir en passant par la France & la Hollande? Je n'avais aucun renseignement sur ce point ni d'ailleurs l'argent nécessaire pour un tel voyage. Je me décidai donc à aller en France pour y être aumônier militaire volontaire ou pour remplir les vides créés par la mobilisation des prêtres. Le médecin major suisse qui me réforma au consulat français de Bâle entra dans mes vues en me disant que je serais plus utile à la France en y prêchant l'Evangile qu'en revêtant un costume de brancardier ou d'infirmier. Il m'inscrivit comme aumônier volontaire postulant.
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VI. Ce que je fis en France.
Fin Novembre 1914 je me présentai chez Mgr. l'évêque de Langres, ami du supérieur du grand séminaire de Cambrai, & lui demandai de me faire nommer aumônier militaire. Il me dit que l'évacuation de Cambrai par les troupes allemandes ne tarderait sans doute pas & qu'il serait mieux d'adresser cette demande à mon archevêque. En attendant il m'offrit l'hospitalité dans son grand séminaire d'où j'adressai à plusieurs évêques des suppliques dans le but de me rendre utile aux prisonniers allemands, tout en continuant l'étude de leur langue. Je ne reçus pas de réponse. Par contre l'autorité militaire m'admit, sur simple présentation du curé de la paroisse, à passer plusieurs heures en compagnie de quelques centaines de soldats allemands envoyés en détachement à Piépape (Haute-Marne). Un sous-officier bavarois me servait de guide & d'interprète.
Fin Mars 1915, apprenant que l'archevêque de Paris avait reçu de Votre Sainteté l'autorisation de donner des pouvoirs aux prêtres des pays occupés, je me rendis dans la capitale où on m'offrit d'être aumônier dans la flotte des Dardanelles. Comme je manifestais peu d'enthousiasme pour cette proposition, je fus envoyé comme vicaire dans une très intéressante paroisse de banlieue, à Bois-Colombes, où plusieurs vicaires étaient mobilisés & où les œuvres, la jeunesse catholique surtout, était animées du meilleur esprit. Mais le curé, qui ne put me trouver un logement convenable dans la paroisse, me dit n'avoir pas demandé de vicaire & me conseilla de prendre pension dans un hôtel de Paris, me déclarant qu'il m'écrirait quand il aurait besoin de mes services.
J'utilisai me longs loisirs à suivre quelques cours à l'Institut catholique de Paris à la bibliothèque duquel j'avais libre accès.
En Mai 1915 j'offris mes services à l'évêché de Versailles. Deux paroisses, La-Queue en Brie & Le Plessis-Trévise, me furent confiées, J'y consacrai tout mon temps à la prédication & à la visite des paroissiens. Le curé étai mobilisé; sa mère occupait le presbytère, je dus me contenter d'un logement de fortune. Le châtelain, à qui l'évêché m'avait envoyé, me fit ouvrir l'église de La-Queue, que je fis surpris de trouver entièrement pavoisée de drapeaux nationaux. Comme personne ne les enlevait, je rappelai du haut de la chaire qu'il faut laisser
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aux choses sacrées leur caractère sacré, bref je me vis obligé d'enlever moi-même les drapeaux. Je ne crus pas pouvoir suivre certains usages peu conformes à l'esprit de l'Eglise & traitai les membres de la famille du châtelain comme les autres paroissiens. Quand vint le jour de faire dans son jardin la procession de la Fête-Dieu (les processions sont interdites dans les rues parce qu'elles gêneraient la circulation), je reçus des membres du conseil paroissial une lettre collective me demandant d'y porter le Saint-Sacrement conformément à une arrêté illégal du maire, c'est-à-dire sans aucune pompe extérieure afin de n'avoir pas l'air de faire la leçon au curé. Je répondis au porteur de la lettre que j'agirais conformément à la loi de l'Eglise & à la loi française.
La dispense de la loi du jeûne & de l'abstinence ayant été retirée avant le carême, je m'efforçai de faire comprendre à la population la nécessité d'observer, surtout en raison des circonstances pénibles que traversait la France, les lois pénitentielles de l'Eglise & d'y ajouter des mortifications spontanées. Beaucoup de non pratiquants se rendirent à mes raisons; le charcutier me déclara qu'il me déclara 2 qu'il cessait, faute de clients, sa tournée du vendredi au Plessis et ne m'en tint pas rancune. Je fus aidé dans cette tâche par une lettre pastorale de Mgr. Gibier, conseillant de jeûner la veille de la fête du Sacré-Cœur.
J'insistai sur l'obligation de la prière publique & officielle. La France étant une démocratie, il importait que les communes entraînassent le gouvernement dans cette voie. Là encore j'eus la consolation d'être compris &, le dimanche 27 Juin, le maire de La-Queue chanta à la grand'messe le "Domine, salvam fac rempublicam" qu'on n'avait pas entendu depuis la loi de Séparation.
Ces résultats prouvent que j'eus autre chose à faire que de la politique & de l'espionnage.
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VII. Pourquoi je quittai la France.
J'avais franchi la frontière française avec l'espoir d'alléger la misère morale de nombre de Français, à qui la vie militaire répugnait, mais qui s'y soumettaient par obéissance à la loi de leur pays. J'aurais voulu être parmi eux un soldat de cette armée internationale de l'amour secourant, consolant, enseignant, guérissant, priant, & les prémunir contre les dangers de la discipline militaire qui, à côté de certains avantages, a d'ordinaire l'inconvénient d'affaiblir dans les âmes l'idéal chrétien, de substituer la crainte des hommes à celle de Dieu & de faire taire en toute circonstance la voix de la conscience.
J'ai dit comment je n'aboutis pas. A vrai dire je ne le regrette guère, car contrairement à mon attente, la mentalité française, loin de songer aux "remedia correctionis", avait fait de la patrie un idole. On s'accoutumait à voir les paroisses sans prêtres et les prêtres en costume militaire. La notion de l'aumônerie militaire elle-même était présentée d'une façon inattendue dans les journaux qui passaient pour refléter la pensée de l'autorité ecclésiastique. Dans son premier – Paris du 23 Décembre 1914 "La Croix" disait que la tâche de l'aumônier n'est pas seulement d'assister les blessés & de procurer aux soldats les secours de la religion, mais que "son rôle militaire est d'apporter aux combattants le réconfort de sa parole entraînante & de son exemple héroïque". Cette théorie semble inviter le prêtre a prendre parti pour l'un des belligérants & à pousser au carnage; & l'action de l'Eglise aurait pour résultat d'armer les nations les une contre les autres, ce qui ne paraît guère ressortir de la lecture des Peres de l'Eglise, en particulier de Lactance que, dans son encyclique "In Plurimis" Léon XIII appelle "eximius religionis defensor", ni des allocutions du 11 Février 1889 & du 11 Avril 1899 de ce même Pape. C'est ce que j'écrivis à Mgr. l'archevêque de Besançon à l'occasion d'un discours prononcé par l'un de ses prêtres.
Non seulement "l'éminente dignité des pauvres dans l'Eglise" était généralement méconnue, mais des harangues respirant la vengeance et la haine de l'ennemi étaient adressées aux soldats sans soulever aucune protestation, parfois même aux applaudissements de catholiques militants & de membres du clergé.
J'écrivis à cette occasion plusieurs lettres, dont l'une à l'aumônier en chef de l'armée française, pour demander avec les socialistes la laïcisation du front & proposer d'établir dans les dépôts des re-
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traites facultatives pour les soldats allant au front, où les uns sont moins exposés qu'ailleurs à perdre l'état de grâce & les autres dans une atmosphère peu favorable à l'acquisition des vérités "necessitate medii" & des motifs d'ordre surnaturel requis pour la contrition même imparfaite. Cette laïcisation me paraissait aussi avoir l'avantage d'assurer le respect d'une loi de l'Eglise en supprimant la présence à la messe d'hérétiques & de mécréants, présence qui se produisait fréquemment, surtout quand on célébrait en plein air.
Le 2 3 7 Juin 1917 je reçus de l'évêché de Versailles une lettre me reprochant vaguement d'innover alors que je n'étais pas curé. Le Vicaire général qui m'écrivait cette lettre était le même qui m'avait envoyé à La-Queue en me disant: "Vous êtes curé."
Je fus surtout étonné de recevoir le 27 Juin une nouvelle lettre qui m'enlevait mes pouvoirs & semblait m'inviter à regagner mon diocèse. Cette invitation répondait trop à mes désirs pour que je ne m'y rende pas sur-le-champ: dès le lendemain je prenais à la préfecture de police de Paris un passeport pour la Hollande. Je n'avertis personne de mon départ, craignant une manifestation hostile à l'évêque, car je jouissais manifestement des sympathie de la population.
J'ai détruit ces lettres avec beaucoup d'autres pour ne pas prolonger l'examen des papiers aux frontières. Le 29 Août 1917 j'écrivis à Versailles pour obtenir un écrit témoignant de la façon dans j'avais quitté le diocèse. Il me fut répondu par le certificat suivant qui contient une erreur de dates:
"Evêché de Versailles, 8 Octobre 1917.
Je certifie à qui de droit que M. l'abbé Demulier est prêtre du diocèse de Cambrai & qu'il a occupé dans notre diocèse pendant l'année 1914-1915 le poste de vicaire de La-Queue en Brie.
Nous lui avons demandé de quitter cette paroisse parce que sa mentalité ne pouvait s'adapter à nos populations de Nord 4 Seine-& Oise, totalement différents des populations du Nord. Il a d'ailleurs été d'une correction sacerdotale parfaite.
J. Millot, vicaire général."
A Londres je dus écrire à l'ambassade de France pour me plaindre
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du retard apporté au visa de mon passeport par le ministre de l'Intérieur. Est-ce pure coïncidence? Le passeport m'était remis le lendemain.
Le 7 Juillet j'arrivai à Flessingue (Hollande) en compagnie d'un grand nombre de Belges & de Français venus de France & d'Angleterre & regagnant leur domicile en pays occupé. Les évêques belges avaient rappelé en Belgique les prêtres partis au début de la guerre; l'un d'eux s'était embarqué avec moi à Tilbury.
VIII. Comment je devins vicaire à Liège.
C'est la façon dont j'entrai en Belgique qui parut surtout intriguer mes juges de Trélon. Pourquoi se crurent-ils plus sages que le tribunal militaire de Liège qui avait déjà examiné la question & écarté tout soupçon d'espionnage?
Le curé de Flessingue me fit recevoir dans une famille catholique où je pouvais attendre le passeport pour Cambrai que le consul allemande me promit de demander à Bruxelles, n'étant autorisé à en délivrer qu'aux Belges. Mais Flessingue avait peu d'attrait pour moi; je manifestait au consul le désir d'attendre plutôt le passeport à Maëstricht, ville catholique; il me répondit que je n'aurais qu'à lui envoyer mon adresse, qu'il ferait suivre le passeport dès qu'il le recevrait. J'arrivai à Maëstricht le 9 Juillet & reçus l'hospitalité chez les Franciscains.
J'appris que je n'étais qu'à quelques lieues de Sippenaken, paroisse belge de la frontière, dont j'avais eu l'occasion quelques années auparavant, pendant un séjour à Sleydingue-lez-Gand, de connaître le curé, M. l'abbé Scharrenbroich. Je voulus avoir de ses nouvelles & crus qu'il me fournirait des renseignements utiles sur les règlements auxquels j'allais être soumis en pays occupé. J'ignorais l'existence d'une "zone d'étapes" où toute communication avec la Belgique & même d'une commune à l'autre exigeait une autorisation spéciale. Je me décidai à tenter de le voir. Au moment de passer la frontière je rencontrai un hollandais qui me déclara que je pouvais sans crainte m'adresser au premier poste allemand & lui exposer mon désir; il s'offrit même à me servir de guide, me faisant espérer que je serais autorisé à me rendre au presbytère en compagnie d'un soldat.
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Les choses ne se passèrent pas ainsi: on l'invita à rentrer en territoire hollandais & je fus fait prisonnier & conduit à Liège où j'eus un entretien avec un juge d'instruction des plus distingués. Sur ma demande je fus conduit à la prison civile & logé dans une cellule; au bout de trois jours j'était remis en liberté, mais sans pouvoir sortir de Belgique.
Je remplis quelques temps les fonctions de vicaire dans l'excellente paroisse du Thier-à-Liège; en fin, par l'obligeante entremise de l'aumônier militaire, j'obtins un passeport pour le Nord de la France. J'arrivai à Robersart le 28 Août 1915 & reçus l'hospitalité à Landrecies chez le doyen du canton qui me fit pour la première fois prêcher dans son église. Les dispositions de mes paroissiens étaient aussi tout autres: "nous expions", ce furent les premières paroles que m'adressa l'adjoint faisant fonctions de maire. J'ai dit plus haut pourquoi je ne restai pas à Robersart & ce qui advint ensuite.
IX. Conclusion.
Je crois en avoir dit assez pour mon innocence en matière d'espionnage. L'aumônier militaire de Cologne (je passai quelques jours dans la prison militaire de cette ville) me fit comprendre que j'étais l'objet d'une fausse accusation de la part d'habitants d'Eppe-Sauvage (où je ne passai que douze jours) qui auraient voulu mon éloignement. Je ne vois pas ce qui aurait pu m'attirer une telle hostilité, sinon peut-être mon intention, manifestée au président du conseil paroissial avec mission de le répéter, d'appliquer l'article 13 du "Motu proprio" de Pie X en date du 22 Novembre 1903, article interdisant les chorales de jeunes filles.
On m'a reproché de n'avoir pas répondu à Eppe-Sauvage à un appel des hommes mobilisables. D'abord je n'étais pas mobilisable. De plus je déclarai au garde-champêtre qui vint m'avertir de cet appel que j'en étais exempté parce que l'Allemagne ne mobilise pas les prêtres, mais que je m'y rendrais si le lieutenant du poste m'en exprimait le désir. Je crois pouvoir dire n'avoir rien fait qui pût me faire démériter la confiance que me témoignaient les soldats, aussi
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bien protestants que catholiques. Ceux-ci formaient la majorité de l'assistance à la grand'messe du dimanche & leur piété m'édifia. Mes relations avec eux étaient si empreintes de loyauté que je ne crus pas les offenser en prêchant, le dimanche qui précéda mon arrestation, sur Marie, Reine de France" à l'occasion du mois du Rosaire. Bien que je fusse connu d'un curé voisin, ancien vicaire le Landrecies, qui vint plusieurs fois dans la paroisse pendant le court laps de temps que j'y passai, on faisait courir le bruit que j'étais un espion allemand, chargé de faire parler les enfants du catéchisme; je devais d'abord faire tomber ce préjugé.
Ces préventions contre les ministres de l'Eglise, qui sont communes aux protestants & aux catholiques victimes des journaux irréligieux, me paraissent explicables par l'oubli de la loi évangélique, une confiance exagérée dans le moyens dictés par la prudence humaine & surtout un manque de foi dans l'Epouse de Jésus-Christ "quae in sola spe gratiae coelestis innititur."
1Hds. von unbekannter Hand durchgestrichen und eingefügt.
2Hds. durchgestrichen.
3Hds. durchgestrichen.
4Hds. durchgestrichen.
Empfohlene Zitierweise
Demulier, Henri an BenediktXV. vom 27. April 1918, Anlage, in: 'Kritische Online-Edition der Nuntiaturberichte Eugenio Pacellis (1917-1929)', Dokument Nr. 9556, URL: www.pacelli-edition.de/Dokument/9556. Letzter Zugriff am: 19.04.2024.
Online seit 20.12.2011.