Dokument-Nr. 2906
Chollet, Jean-Arthur an Generalkommandant der Etappenregion in Cambrai
Cambrai, 20. Oktober 1916

Monsieur le Général,
Les rigueurs croissantes que nous subissons m'excitent à vous remettre ces "Quelques
Considérations".
Je vous prie de les lire, puis de les faire parvenir aux autorités supérieures compétentes. J'y parle au nom de mes concitoyens, parce qu'ils sont mes Fils.
Je demande qu'on veuille bien reconnaître tous leurs droits à ceux qui accomplissent toutes leurs obligations.
Mon souci est tout de modération et de courtoisie, de vérité et de justice.
J'espère trouver les mêmes dispositions dans les représentants de l'autorité allemande.
Veuillez croire, Monsieur le Général, à ma considération
très distinguée.
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Q uelques Considérations sur le traitement impose aux habitants des pays occupes en F rance
Le gouvernement impérial allemand, par sa collaboration à l'œuvre de La Haye, a puissamment contribué aux progrès de la civilisation dans les relations internationales. En mettant sa signature au bas des conventions arrêtées, il a manifesté sa volonté de réaliser leurs clauses dans les circonstances mêmes pour lesquelles elles avaient été rédigées, et donc
d'observer en temps de guerre les règles établies pour le temps de guerre. D'avoir avec les autres Etats conçu de tels desseins, est un honneur pour l'Allemagne. Elle ne voudra donc pas renoncer à l'honneur plus grand et nécessaire de les mettre en pratique à l'heure présente.
Le Gouvernement Impérial Allemand s'est déclaré à La Haye "animé du désir de servir les intérêts de l'humanité et les exigences toujours progressives de la civilisation", et guidé par la volonté de "restreindre autant que possi ble les rigueurs de la guerre".
En collaborant à la constitution d'un règlement concernant les lois et coutumes de la guerre, et en déterminant le rôle de l'autorité militaire sur le territoire de l'état ennemi, il a entendu faire bénéficier les habitants des territoires occupés de ses dispositions humanitaires, et s'est engagé par là à diminuer le plus possible, pour eux en particulier, "les maux de la guerre".
Il a reconnu que, dans ces règlements, il n'avait pas été possible de prévoir "toutes les circonstances qui se présentent dans la pratique" et qu'il y a des situations non prévues comme il y en a d'explicitement prévues et réglées.
Pour les situations non prévues, il a déclaré ne pas vouloir les laisser "à l'appréciation arbitraire de ceux qui dirigent les armées" et entendre que les habitants "restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes et du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique".
Quant aux situations prévues, il a voulu qu'elles fussent loyalement traitées conformément aux stipulations qui les concernent et qui sont "destinées à servir de règle générale de conduite aux belligérants dans leurs rapports entre eux et avec les populations". Sa volonté, sur ce point, a été si délibérée qu'il a admis que "la partie belligérante qui violerait les dispositions du dit règlement sera tenu à l'indemnité", et qu'il a entendu sa responsabilité à "tous les actes commis par les personnes faisant partie de sa force armée".
Il ne peut donc être douteux que les intentions du gouvernement allemand, comme les autres hautes parties contractantes, ne soient que les articles dont le texte est flottant et prête à de multiples interprétations, soient entendues dans le sens des principes fondamentaux rappelés ci-dessus, c'est-à-dire, dans le sens qui réalise le mieux les sentiments humanitaires, et qui diminue le plus les rigueurs de la guerre.
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Ces données, tirées dans leurs propres termes de l'acte de La Haye, représentent incontestablement les engagements pris par l'empire d'Allemagne. Elles sont la garantie de nos droits. Le gouvernement allemand a promis, en outre, de donner à ses forces armées des instruction conformes au règlement de La Haye.
Or, c'est maintenant un fait établi par l'expérience de deux armées: bien des rigueurs de la guerre qui auraient pu être évitées aux habitants des pays occupés, ont pesé lourdement sur eux; des articles obscurs ont été appliqués dans un sens moins humanitaire; des situations non prévues ont été abandonnées à l'arbitraire.
Il n'a pas été possible ici de rappeler toutes les circonstances dans lesquelles des populations fidèles à toutes leurs obligations, ont vu leurs droits méconnus. On s'est borné à signaler les principales.
La Conférence de La Haye a établi la distinction, dans les peuples en guerre, des belligérants et des non-belligérants. Ceux-ci doivent être tenus, autant que possible, en dehors des rigueurs de la guerre. De leur coté, ils doivent s'abstenir de tout acte d'hostilité envers l'ennemi. Moyennant cette abstention, il leur a été promis protection dans leur personne et dans leurs biens. Si leur territoire vient à être envahi, l'occupant doit, dès que "son autorité est établie et en mesure de s'exercer" prendre "toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d'assurer, autant que possible, l'ordre et la vie publics". Cela a été une haute pensée et toute humanité que celle de vouloir ramener et conserver, par tous les moyens possibles, dans les pays occupés, l'ordre et la vie publics: ce fut une pensée non moins heureuse et prudente que celle d'atteindre un pareil but en régissant le pays occupé "d'après ses propres lois". Ces lois, en effet, s'inspirent du tempérament, du peuple pour lequel elles ont été faites, le peuple les connaît, il y est habitué, et rien ne peut plus efficacement que leur respect concourir au maintien de l'ordre et de la vie publics.
La vie publique, c'est en particulier la vie économique, c'est la marche de l'industrie et la liberté du commerce conservées dans la mesure compatible avec les départs d'hommes appelés sous les drapeaux.
La région française du Nord était une des plus prospères, grâce à l'activité de son commerce et de son industrie; qu'on visite nos usines, elles sont arrêtées; leurs matières premières, leurs produits manufacturés ont été enlevés. Il en est qui offrent le spectacle lamentable de murs éventrés. Les machines elles-mêmes ont disparu; et notre industrie est non seulement paralysée, mais radicalement détruite.
Le commerce, lui aussi, a grandement souffert. Le plus grand nombre des marchandises de toutes sortes ont été emportées. La Convention de La Haye prévoit bien des réquisitions, mais, stipule-t-elle, "elles n'auront lieu que pour les besoins de l'armée d'occupation". Pour ne citer qu'un exemple, est-ce donc à raison de ces besoins qu'on a levé dans tel magasin des chaussures de femmes et ailleurs des voitures d'enfants? N'est-ce pas encore porter une grave atteinte au commerce et en rendre l'exercice impossible que de lui enlever, parce qu'ils sont en cuivre ou autre métal, ses poids et ses mesures?
Enfin les Hautes Parties contractantes à La Haye ont voulu faire régir le pays occupé "suivant ses propres lois", afin de respecter ainsi le plus possible le tempérament national.
Hélas! combien de fois notre tempérament
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français n'a-t-il pas été vivement et douloureusement froissé dans sa fierté, dans ses légitimes délicatesses, et dans son sens très profond de la dignité et de la liberté de la personne humaine! Les journaux allemands se plaigne que la France cultive chez ses fils la haine de l'ennemi. Qu'on permette ce langage à un ministre de paix, ouvrier de la fraternité entre les hommes et entre les peuples: il est bien à craindre que cette haine ne soit beaucoup plus cultivée de ce coté-ci de la ligne de feu par les mesures administratives auxquelles nous sommes soumis, et qu'elle ne vive malheureusement plus longtemps et plus acerbe dans l'âme des pays occupés.
C'est surtout dans l'amour de leur toit et dans le juste sentiment de son inviolabilité que nos populations se sont trouvées trop souvent blessées. La Convention de La Haye garantit "l'honneur et les droits de la famille". Cet honneur et ces droits consistent, aux yeux du Français, à être maître chez lui, à pouvoir jouir paisiblement et sans partage de l'intimité de son foyer. Sans doute, il sait que l'armée nationale a le droit de réclamer, pour ses officiers et pour ses soldats, place dans sa maison quand les nécessités militaires le veulent. Il ouvre alors volontiers sa porte. Quand c'est l'armée ennemie qui vient frapper à cette porte et demande du logement, il sait qu'il doit ce logement dans les mêmes conditions matérielles qu'aux membres de l'armée nationale, et il l'accorde. Il faut reconnaître, que sur ce point, le plus souvent il ne rencontre pas d'exigences excessives. Mais quand il voit l'ennemi de son pays entrer chez lui en maître et propriétaire, quand il assiste à la prise de possession de sa maison, qu'il y est d'autorité relégué dans le coin dont on veut bien, par grâce, lui laisser la jouissance; quand il voit cet ennemi s'installer dans sa chambre, dans celle de sa femme et de ses enfants et ne pas se contenter de celle qui était réservée aux officiers et aux soldats de son pays; quand il s'entend même, ô humiliation! comme cela s'est fait, ordonner de quitter sa maison pour la laisser toute entière à la disposition de ses hôtes nouveaux, cela, il ne peut comprendre que ce puisse être le respect des droits de la famille promis par les traités. Il le subit en silence, parce que la force le lui impose à défaut du droit, et il songe avec mélancolie et regret aux paladins dont l'antique Germanie était justement fière, qui s'armaient pour la défense de ces faibles et de ces petits, de ces femmes et ces enfants aujourd'hui bannis de chez eux. On souffrira que du milieu de ce silence une voix s'élève qui traduise tant de douleur et signale les dissentiments qu'elle fait germer pour de trop longues années.
Le Français est généreux, il est naturellement bon. J'affirme qu'il ne garde aucune rancune aux soldats ennemis qui le combattent loyalement et valeureusement sur le champ de bataille. A ces soldats, après la guerre, il tendrait volontiers sa main. Ce geste sera empêché par les souvenirs de toutes les humiliations qu'on nous fait subir.
J'en viens d'en citer une. Qu'on me permette d'en signaler une autre. Le Français, disais-je, a le sentiment très vif de l'inviolabilité de son domicile. Ce domicile, les lois de son pays ne permettent à l'autorité publique d'y pénétrer que pour des raisons judiciaires, sur un ordre du Parquet, et dans des conditions très nettement déterminées. Les perquisitions, en France, sont infamantes. Or depuis deux ans, on nous les prodigue avec une facilité vraiment extraordinaire. Sans explications, sans qu'il y ait le moindre délit, sans qu'il y ait la moindre prévention judiciaire, les maisons sont visitées, fouillées, violées de la cave au grenier. Ces visites domiciliaires rapportent peut-être quelques amendes au trésor allemand, elles accumulent un capital de haine que le siècle n'épuisera pas.
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A mesure que l'on pénètre l'esprit de la Convention de La Haye, on y découvre une universelle intention de respect pour tout ce qui touche aux non-belligérants, et l'on se sentirait porté à une vive reconnaissance envers les auteurs de cette œuvre d'humanité, si l'on voyait, le moment venu, leurs décisions passer dans la pratique. Les gouvernements réunis dans ces assises de la civilisation internationale ont voulu que les non-belligérants fussent garantis dans leur personne, dans leur liberté, et leur vie, dans leur dignité et surtout dans leur fidélité patriotique. De nombreux textes le disent expressément ou le font entendre.
Et cependant sous combien de formes ces droits de l'individu n'ont-ils pas été méconnus?
Parlerai-je des réquisitions de services? Elles sont autorisées, je le sais. Mais il y a des restrictions qui les réglementent. L'article 25 de la Convention de Bruxelles avait signifié qu'elles ne devaient être, "ni exténuantes, ni humiliantes", qu'il y serait tenu compte du "grade", de "la position officielle ou sociale". La même pensée se fait jour dans la Convention de La Haye, qui à l'article 6, veut qu'elles soient proportionnées au grade et aux aptitudes, qu'elles ne soient pas excessives. Il s'agit dans cet article, des prisonniers de guerre; mais il n'est pas douteux qu'à plus forte raison, ces dispositions ne regardent les hommes libres des pays occupés. Pour ceux-ci, il est spécifié que les services "ne seront réclamés qu'avec l'autorisation du commandant dans la localité occupée" (art. 52), et qu'il seront "de telle nature qu'il n'impliquent pas pour les populations l'obligation de prendre part aux opérations de la guerre contre leur patrie" (art. 52), ce qu'il faut entendre évidemment dans le sens de l'article 6, qui veut que de tels travaux n'aient "aucun rapport avec les opérations de la guerre". Toute cette matière est, en plus, manifestement dominée par le principe général émis à l'article 43 de la conformité aux "lois en vigueur dans le pays".
Or depuis plus d'un an, des jeunes gens ont été levés, soustraits à leur famille, enfermés dans une caserne, et sont chaque jour, sous la surveillance de soldats armés, conduits et forcés au travail; depuis plusieurs mois, d'autres ont été convoqués, et, chose très grave, emmenés vers la ligne de feu, loin de leur localité et soumis, en plein danger, à de vrais trauvaux forcés qui sont bien loin de n'avoir "aucun rapport avec les opérations de la guerre contre leur patrie". Les lois de leur pays réservent ce traitement aux condamnés de droit commun dans les bagnes ou dans les prisons, et aux mauvais soldats dans les compagnies de discipline, et il n'est pas possible qu'il ne soit directement opposé aux stipulations de La Haye.
Parlerai-je des sanctions mises par l'autorité occupante à ses décrets et règlements? Il est un principe de droit naturel qui veut que tout homme soit réputé innocent tant que sa culpabilité n'est pas prouvée avec certitude; un autre principe réclame une proportion entre la faute et la peine, et rejette les peines exorbitantes pour des fautes légères. S'il était possible de lire les livres d'écrou des prisons, je pourrais y souligner des noms de détenus dont tout le tort fut d'avoir été des suspects, de vieux prêtres contre lesquels la moindre charge ne pût être relevée, de femmes honorables et entourées de la vénération de tous, soumises à la peine que le droit ne réserve qu'aux malfaiteurs.
Et si j'en avais le loisir, je pourrais, d'autre part, rapporter ici le texte d'affiches ou de jugements, où de très légères infractions furent menacées ou punies d'emprisonnements très longs et d'amendes très lourdes.
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Parlerai-je des Otages?
Il se fait très souvent des embarquements de troupes en gare de X.... Il arriva qu'un jour le hasard fit concorder un départ avec un bombardement opéré par des aviateurs. Aussitôt l'autorité locale décide qu'à l'avenir, quand auront lieu des embarquements de troupes, des otages pris dans la population civile, bien innocente cependant, devront se trouver à la gare. De fait, des otages furent levés pendant quelque temps. Bientôt on renonça à la mesure. –
A Y...., je ne sais quel dommage ou risque est couru par la voie du chemin de fer. Aussitôt un groupe d'hommes est mis sous les verroux pour de longues semaines, jusqu`à ce qu'une enquête ait établi qu'il était impossible de découvrir la moindre solidarité entre la population d'Y.... et les auteurs de ce fait. Voilà donc des non-belligérants auxquels les traités garantissent la vie et la liberté et qui sont mis en prison ou en péril de mort, sans la moindre faute de leur part et sans la moindre solidarité avec la faute d'autrui. En droit, l'innocence se présume et la faute doit se prouver; ici, en fait, c'est la culpabilité qui est présumée à priori, et l'innocence qui doit se prouver. – Et cependant la Convention de La Haye dit formellement et très équitablement qu' "aucune peine collective, pécuniaire ou autre, ne pourra être édictée contre les populations à raison de faits individuels dont elles ne pourraient être considérées comme solidairement responsables".
Un avis fut un jour placardé. Il y était dit si des attentats criminels étaient commis contre les installations de chemin de fer, la commune serait frappée d'une forte contribution de guerre, des otages seraient immédiatement levés. Il pourrait même s'ensuivre l'évacuation des fermes ou localités voisines et le transfert de tous les hommes dans un camp de prisonniers.
C'est le principe absolu de la responsabilité causée uniquement par la résidence. Il frappe presque toujours des innocents, parce que souvent ce que l'on croit être un attentat criminel est fait légitime de guerre ou accident; parce que, d'ordinaire, celui qui veut commettre un attentat a soin de le perpétrer loin de sa résidence pour dépister les recherches et préserver les siens. L'histoire, n'a-t-elle pas établi que la population de Fontenay si cruellement châtiée en 1870, fut absolument étrangère à la destruction du pont de chemin de fer voisin?
L'Allemagne ne voudra-t-elle pas faire faire à l'humanité ce progrès déjà résolu à La Haye et réclamé par la justice, qui consiste, pour établir une responsabilité et décréter des peines, à exiger la solidarité réelle fondée, non pas sur le fait matériel et décevant de l'habitation, mais sur la preuve formelle de la coopération?
S'il est un principe sur lequel les Hautes Parties contractantes de La Haye ont voulu se prononcer nettement, c'est celui de la propriété privée. Elles y reviennent à plusieurs reprises, comme si elles pressentaient que c'est le point le plus menacé, et qui a le plus besoin de protection. Elles rangent la propriété privée parmi les choses qui "doivent être respectées". Et aussitôt, cette déclaration ne leur suffisant pas, elles ajoutent: "La propriété privée ne peut être confisquée". Puis à l'article suivant: "Le pillage est formellement interdit".
Le respect de la propriété privée est tellement voulu qu'il sert de règle au respect des biens des communes, des établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l'instruction, aux arts et aux sciences, et il est décidé que ces biens "seront traités come la propriété privée" et que
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"toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle" qui les atteindrait "est interdite et doit être poursuivie".
Déjà en 1870, Sa Majesté le Roi de Prusse disait dans une proclamation au Peuple Français: "Nous ne faisons pas la guerre aux habitants paisibles de la France, et le premier devoir d'un loyal soldat est de respecter la propriété privée".
Combien je voudrais n'élever sur ce chapitre aucune plainte! Combien je voudrais pourvoir reconnaître que les réquisitions ont été exclusivement consacrées "aux besoins de l'armée d'occupation", et sont restées "en rapport avec les ressources du pays", ainsi que le veut l'article 52! Mais le puis-je sincèrement quand je songe à ces usines dont j'ai déjà parlé et auxquelles il ne reste que les quatre murs, à ces tissages, à ces brasseries, etc. ...., qui ne pourront reprendre leur travail qu'après de longues années de reconstitution de leur matériel et de leurs approvisionnements, à ces maisons de commerce absolument vidées de marchandises étrangères aux besoins d'une armée; à ces fermes dont les étables sont désertes, dont les récoltes sont parties au loin; quand ce pays que toutes les statistiques signalent comme exportateur, c'est-à-dire, comme producteur de biens très supérieurs à ses besoins, est obligé, pour éviter la famine, de recourir au ravitaillement étranger; quand je vois leurs dernières bouteilles de vin enlevées aux vieillards et aux malades, et le lait devenu extrêmement rare et cher dans une région de culture intense et d'élevage abondant?
Le puis-je, quand j'assiste à la réquisition des cuivres et d'autres métaux dont la destinée est de devenir des armes avec lesquelles on tuera nos frères? Toute conscience humaine se soulèverait à ce spectacle à défaut des interdictions de la Convention de La Haye. Si celle-ci n'a pas interdit nommément cette dernière réquisition, c'est sans doute qu'il n'a pas pu venir à la pensée de ses membres qu'elle pût être conçue jamais et encore moins exécutée; mais elle a suffisamment laissé voir sa volonté, et ceux qui ont prohibé tous travaux qui impliqueraient le moindre rapport avec les opérations de guerre contre la patrie, auraient-ils pu autoriser des contributions qui alimentent les fusils et les canons?
Des impôts et des contributions de guerre très lourds sont exigés de nos populations. Les traités internationaux les autorisent en principe, mais avec des réserves. On doit s'inspirer, dans la mesure possible, "de l'assiette et de la répartition des impôts en vigueur", et "pourvoir aux frais de l'administration du territoire occupé". Les contributions les plus lourdes ne doivent donc pas dépasser la quantité que prennent les impôts ordinaires ou extraordinaires prélevés par un pays sur ses nationaux. Surtout, elles doivent toujours rester en rapport avec les ressources du territoire. Cette dernière stipulation suppose qu'une sage et prudente proportion sera établie entre les biens des communes et le papier monnaie gagé par eux. Or cette mesure est méconnue et dépassée.
Le papier-monnaie est créé à jet continu. Les communes, après avoir épuisé leur numéraire et leurs réserves en billets de banque, doivent verser en bon communaux des impôts énormes que les jours les plus critiques n'ont pas connus et en disproportion avec leurs ressources budgétaires. Les milliards s'ajoutent aux milliards fournis en nature ou en argent par nos populations. Des localités que les événements ont privé de leurs représentants légaux ou même fait disparaître, sont taxés néanmoins. Les frais d'administration locale ne sont pas prélevés sur ces impôts. C'est la marche à la ruine et à la banqueroute. Et cependant l'Allemagne s'est engagée à maintenir chez nous la vie publique!
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Il est une question qu'il m'est impossible de ne pas aborder dans ce coup d'œil d'ensemble, bien que j'en aie déjà écrit à Sa Majesté l'Empereur d'Allemagne: c'est la question religieuse. Les traités assurent la liberté des convictions religieuses et de l'exercice des cultes, ainsi que l'immunité des édifices des cultes.
La religion catholique, de par son institution divine, possède une hiérarchie qui repose, dans l'Eglise Universelle, sur Notre Saint Père le Pape, et dans chaque diocèse, sur l'Evêque. La liberté du ministère de l'évêque et des relations entre lui et ses paroisses est essentielle au culte catholique dans chaque diocèse. On comprend qu'un contrôle militaire puisse être établi. Mais si l'évêque ne peut communiquer avec ses prêtres et ses ouailles, une atteinte grave est portée à la vie religieuse. Ainsi, dans une armée, en supprimant les relations entre les troupes et le grand état-major, on ruinerait la vie et la force militaire.
Combien d'entraves n'ont pas été apportées aux libres rapports de l'archevêque avec ses prêtres et de ceux-ci avec l'archevêque? Pendant quelques temps l'archevêque ne put correspondre par lettre qu'avec les seules et peu nombreuses paroisses de la Commandanture de Cambrai. Actuellement encore il n'a pas reçu l'autorisation d'écrire à ceux de ses prêtres qui sont retenus captifs en Allemagne. Les vicaires généraux qu'il a dû établir dans les divers territoires de son diocèse ne sont pas autorisés à venir conférer avec lui.
Il est surtout une faculté indispensable au ministère épiscopal, c'est celle de visiter les paroisses. L'évêque seul peut, et il le doit, administrer le sacrement de confirmation sur toute la surface de son diocèse; des affaires très graves exigent en certains centres sa présence ou celle de son vicaire général. Or à plusieurs reprises, c'est en vain que l'Archevêque de Cambrai a pour lui ou pour son vicaire général, demandé des permis de circuler. Toujours il lui ont été refusés. Je sais bien qu'on invoquait les raisons militaires. L'argument eût pu valoir quelque chose si on eut, aux mêmes moments, refusé tous autres laisser-passer. Je ne puis lui trouver de valeur quand je sais qu'à l'heure même où un laisser-passer m'était refusé, il était accordé à d'autres pour le même parcours. Du reste, les autorisations de voyager furent d'ordinaire assez facilement accordées aux représentants des communes imposées de contributions et obligées de se procurer au dehors des fonds qu'elles ne possédaient pas; elles furent concédées aussi, et très légitimement, aux personnes occupées au ravitaillement. Le ministère épiscopal représente des intérêts publics supérieurs. Il apporte sa contribution à l'ordre et au calme du pays; il ravitaille les âmes en courage et en force morale. Ne devrait-il pas au moins jouir des mêmes libertés accordées aux autres services?
Les prêtres purent d'ordinaire accomplir dans leurs églises propres les exercices du culte. Mais l'histoire n'expliquera jamais pourquoi tant de prêtres furent des suspects; pourquoi, sous les moindres soupçons, beaucoup furent avec une sévérité extrême frappés d'amendes, jetés en prison ou emmenés en Allemagne. Notre clergé, certes, est français jusque dans ses moelles, mais il sait quels devoirs délicats lui imposent les circonstances, et je puis affirmer qu'il fut toujours à la hauteur de ses devoirs. Un certain nombre souffrirent de l'imputation d'espionnage. Je n'en connais pas un seul contre lequel la preuve ait été faite.
Le recrutement du clergé est une des nécessités les plus graves de la vie diocésaine. Il exige que les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce puissent se rendre dans les séminaires, et y suivre les cours appropriés à
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leur formation spéciale. Depuis deux ans, nos séminaristes sont en instance pour obtenir les autorisations nécessaires. Elles leur sont refusées. On n'a même pas voulu transmettre au Saint Père une demande que je lui adressais à cet égard. Nos jeunes séminaristes restent désœuvrés dans leurs familles. Et cependant les intérêts militaires ne souffriraient en rien de leur réunion dans les séminaires, où le contrôle de leurs personnes, de leurs actes serait même plus facile. Le diocèse subit de ce chef un des plus graves détriments et j'en cherche, sans les trouver les raisons juridiques.
Je pourrais encore parler des difficultés mises à la venu à Cambrai des élèves appelés à recevoir les saints ordres. J'en ai assez dit pour montrer que mon ministère est paralysé et que la liberté n'existe pas pour l'Archevêque de Cambrai.
Il n'a pas même celle de correspondre avec le Souverain Pontife, puisque dernièrement une note qu'il adressais au Vatican sur un objet que le gouvernement impérial allemand a mainte fois reconnu comme appartenant aux attributions pontificales, lui a été refusée.
Ceci l'amène à faire une nouvelle remarque; les traités rédigés à La Haye portent la signature de la plupart des gouvernements du monde. Ce sont des engagements mutuels pris entre les signataires et tous ceux-ci, qu'ils soient en guerre ou non, par le fait qu'ils ont apposé leur nom à ces traités, ont intérêt à les voir respecter (sic!). Ils ont dès lors le droit de recevoir des recours et d'élever la voix, quand les traités souscrits par eux ne sont pas observés.
C'est ce qu'ont pensé les représentants de nos intérêts civils. A plusieurs reprises, ils ont voulu porter leurs doléances devant les ambassadeurs des gouvernements signataires de la Convention de La Haye. Leurs lettres n'ont pas été transmises. Il ne leur a pas été permis d'arriver jusqu'aux seuls défenseurs naturels et juridiques de leurs droits méconnus.
A certains faits ou arguments développés plus haut, on opposera peut-être la nécessité de représailles à cause du blocus imposé à l'Allemagne.
Ce n'est pas ici le lieu d'étudier le droit de blocus, mais simplement d'en envisager le fait. Or, dans un journal semi-officiel répandu par l'autorité allemande dans les pays occupés, j'ai sous les yeux un article et deux gravures exposant "le plan anglais d'affamer l'Allemagne et la façon dont il a échoué". Economiquement le blocus est donc affirmé inefficace. D'autre part bien souvent les journaux allemands ont démontré que, financièrement, le blocus, en empêchant l'importation étrangère, rendait à l'Allemagne le service de lui conserver ses capitaux. Une mesure économiquement inefficace et financièrement bienfaisante ne peut justifier des représailles.
Au reste, quand on suit les diverses phases de l'histoire des guerres, on y constate, à mesure que l'humanité progresse, une atténuation du système des représailles. Elles deviennent avec les siècles plus rares et moins sévères. Il apparaît dès lors, que les représailles sont destinées à disparaître, et que leur suppression est au nombre de ces "exigences toujours progressives de la civilisation" que le gouvernement impérial allemand a décidé à La Haye de "servir" de tout son pouvoir.
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Ces pages ont été écrites sous le regard de Dieu. Leur auteur n'y a apporté qu'une passion, celle de la vérité et de la justice, dans le calme de la pensée et de la modération de langage. Il a confiance que l'autorité allemande voudra leur prêter attention et prendra toutes ses mesures pour "rétablir" dans nos pays occupés, "l'ordre et la vie publics", cet ordre et cette vie qui résident, non dans la ruine et la stagnation, mais dans la conservation et dans la libre marche de nos organismes sociaux.
Jean Dr Chollet
Arch. de Cambrai
Wir danken Frau Schütte für die Bearbeitung dieses Dokuments.
Empfohlene Zitierweise
Chollet, Jean-Arthur an Generalkommandant der Etappenregion in Cambrai vom 20. Oktober 1916, Anlage, in: 'Kritische Online-Edition der Nuntiaturberichte Eugenio Pacellis (1917-1929)', Dokument Nr. 2906, URL: www.pacelli-edition.de/Dokument/2906. Letzter Zugriff am: 28.11.2024.
Online seit 17.06.2011.