Dokument-Nr. 2908
Chollet, Jean-Arthur an Wilhelm II. von Preußen
Cambrai, 26. Mai 1917
La municipalité de Cambrai a reçu l'ordre de remettre à l'autorité allemande toutes les cloches de l'Hôtel de Ville, du Beffroi et des Eglises de la Cité. C'est une application locale d'une mesure qui s'étend à tous les pays occupés. – Ainsi donc, il faut que des Français livrent de leurs propres mains des objets sacrés destinés à être convertis en armes contre leur patrie.
Votre Majesté saisira tout ce qu'il y a de cruel dans cette exigence et, en même temps, tout ce qu'elle a de contraire aux engagements pris par son gouvernement à La Haye.
Il est vrai que les villes et les églises d'Allemagne on vu pareillement enlever leurs cloches: mais là, il s'agissait pour les Allemands d'aider le pays allemand dans une de ses crises les plus tragiques: ici, il s'agit pour des Français de fournir des armes contre la France.
Les Représentants de Votre Majesté ont été bien inspirés, quand, à La Haye, ils ont décidé qu'on ne pourrait jamais requérir des habitants des pays occupés des actes qui les rendraient participants des opérations de guerre contre leur nation. Et cependant ce sont de tels actes qu'on nous impose à cette heure.
Votre Majesté voudra prendre sous sa haute sauvegarde, non seulement les cloches de notre ville métropolitaine, mais encore celles des villes et des paroisses dans tout le pays occupé. Elle ne permettra pas, en particulier, qu'on touche à celles qui par leur ancienneté présentent un intérêt historique. Courbé dans la prière devant Celui qui du haut de la Croix sauve les peuples et juge les actions des hommes, Elle se dira sans doute que le Dieu du Décalogue ne peut aider contre nous des armes forgées dans
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un métal qui lui était consacré et qui nous appartient.Qu'à cette occasion, Sire, Votre Majesté me permette de faire parvenir jusqu'au pied de son trône la clameur de tout un peuple qui réclame justice.
Si je regarde autour de moi, je n'y vois que contributions écrasantes et sans proportions avec les ressources, du reste taries, du pays; que réquisitions exagérées et confiscations illégitimes; que domiciles violés et fouillés; qu'habitants mis hors de leur logis; que mobiliers dispersés ou emportés; qu'amendes exorbitantes, que prisons étonnées d'abriter des gens de bien; que travail de fortifications exigé contre la Patrie sous peine de tourments ignorés de tous les codes. Le clergé est suspect; les prêtres privés la plupart de leurs églises, ne peuvent visiter ni leur chef, ni leur confesseur. Le pays est ruiné: l'industrie, l'agriculture, le commerce, sont anéantis; les usines ont vu disparaître leurs machines, leurs métiers et leurs matières premières; les charrues ont été enlevées; les étables ont perdu jusqu'à leurs vaches laitières; et sur une des terres les plus fertiles de l'Europe, on ne vit plus que du ravitaillement étranger. Là, où sur la promesse des pactes internationaux nous attendions une administration qui aide et qui fait vivre, nous avons subi une réglementation infinie qui tracasse et qui stérilise.
Si je regarde plus loin vers le front, c'est la dévastation sous prétexte qu'il ne faut rien y laisser qui pourrait être de quelques secours à l'ennemi; comme si la Convention de La Haye, en laissant à l'occupant l'usufruit des domaines publics et la jouissance des impôts sur les bien privés, ne lui avait pas confié surtout le devoir accepté par lui d'une administration qui
entretien et qui garde. Les villages sont rasés, les forêts abattues, les arbres fruitiers supprimés, eux auxquels Dieu défendait de toucher même chez les peuples qu'il avait ordonné, pour leur impiété, de passer au fil de l'épée.
Que Votre Majesté permette à un ministre de la paix et de la fraternité de lui faire part d'une de ses plus douloureuses constatations. Des popu-
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lations
sont emmenées par les routes ou sur le plancher nu de wagons de marchandises, quelques
hardes à la main: épaves lamentables qui n'ayant plus rien à perdre ne craignent plus
continuation de la guerre, et dans la haine qui les anime, supporteront volontiers toutes
attentes pourvu qu'elles leur apportent la vengeance.En vérité, je ne puis croire que ce soit pour cela que les armées d'Allemagne se battent avec une valeur que je n'hésite pas à reconnaître. – Votre Majesté ne pense-t-elle pas que cette gloire est stérile qui fait récolter la haine; que les peuples vivent moins de lauriers que d'estime mutuelle et que la guerre la plus féconde est celle qui conquiert l 'estime de l'ennemi.
Sire, les larmes et les malédictions d'un peuple sont très lourdes. Votre Majesté ne voudra pas en faire peser le poids ni sur sa dynastie ni sur son Empire. Si Elle juge que les conventions internationales peuvent être dénoncées, Elle sait aussi que pardessus toutes les conventions il existe des principes et des lois qu'on ne peut ni dénoncer ni abroger, comme sont les lois de justice et d'humanité, le principe de priorité du droit sur la force. Violés, ces principes et ces lois se vengent. La personne comme la propriété, même de l'ennemi, sont sacrés. Qui foule leurs droits aux pieds aide à l'ascension de la démocratie et du socialisme que cette guerre a déjà tant fait monter au détriment des anciennes formes de l'autorité et de la vie publique.
Je n'ai pas pu, Sire, me retenir de faire arriver jusqu`à vous ce faible écho d'une immense détresse. Mon âme a pris la confiance qu'elle serait entendue et comprise de Votre Majesté et qu'elle obtiendrait pour ses fils quelque adoucissement à leur martyre. Votre Majesté pour cela n'a qu'à vouloir et dire un mot. Ce mot de justice et d'humanité, Elle daignera le prononcer et dans cet espoir, je la prie, Sire, d'agréer l'hommage de mon profond respect.
J. Chollet
Archevêque de Cambrai