Dokument-Nr. 2907

Chollet, Jean-Arthur: Résumé d'un entretien avec deux officiers du Grand Quartier Général Allemand. Cambrai, vor dem 07. März 1918

Le 24 octobre 1917, la Commandanture de Cambrai me priait de bien vouloir être chez moi le 26 au matin, à partir de 10 h.1/2 (h.alle.), pour y recevoir la visite de deux officiers chargés de me faire une communication de la part de l'autorité supérieure.
Le 26, quelques minutes avant l'heure indiquée, les deux officiers étaient là: tous deux attachés a l'Etat-Major de S.M. l'Empereur, l'un docteur en droit. Ils me dirent qu'ils étaient chargés de m'apporter réponse à des réclamations et protestations envoyées par moi le 20 Octobre 1916; que l'attention apportée à leur examen était la cause du retard de la réponse. – Moi: En effet, j'ai adressé à maintes reprises, des plaintes et des demandes; autant je tiens à être fidèle à mes devoirs et je recommande cette fidélité à mes diocésains, autant je m'estime autorisé à faire valoir les droits des populations occupées et à en réclamer le respect. – Eux: Le Grand-Etat Major a hautement apprécié votre attitude, Monseigneur; il considère qu'en cela vous restiez dans la limite de votre mission. – Avant de vous donner connaissance des réponses du Grand-Etat Major, nous devons vous demander si vous êtes pour quelque chose dans la publication en France, par divers journaux, notamment par le TEMPS, de fragments de votre Mémoire. – Moi: Nullement. Voici quelle a été ma conduite. Après avoir envoyé ce mémoire, je laissai s'écouler environ un mois, afin de laisser aux autorités supérieures le temps de recevoir mes lignes et d'y répondre. Alors comme de divers cotés s'élevaient, dans la souffrance morale, des appels à mon intervention, je fis connaître ma démarche à quelques notables, afin de montrer que je n'étais pas resté indifférent au sort de mes compatriotes. C'est tout. Quelque temps après, j'appris qu'on parlait de mon Mémoire dans certains cafés et cabarets. Mais je puis vous donner ma parole
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d'Archevêque que je n'ai fait aucune tentative pour faire passer mon texte en France. - Eux: Pourriez-vous nous dire comment vous pensez qu'il a été transmis?. - Moi: Absolument pas. N'ayant rien fait, je ne sais rien. Ce texte est-il parti dans des valises ou des cerveaux?, je l'ignore.- Eux: Il serait parti par des évacués peut-être? – Moi: Je ne sais. – Eux: Nous vous remercions et transmettrons votre réponse sur ce point.
Un des deux officiers, que je désignerai sous le nom de secrétaire, commença alors la lecture en français des réponses allemandes à mon mémoire. Il dit que si nous souffrions autant, la faute en était à l'Angleterre et à son blocus; que l'Allemagne d'autre part, bien qu'elle ne fût plus tenue par la Convention de La Haye depuis l'entrée dans le conflit de puissances non signataires, comme le Japon, cependant avait donné des instructions à ses armées pour que toutes les obligations imposées par cette convention fussent observées scrupuleusement et au-delà. - Je demandai à faire quelques remarques et j'observai 1° que je ne pouvais admettre que l'Allemagne fût dispensée entièrement des obligations de La Haye; que sans doute elle n'était pas tenue par la Convention dans ses rapports avec les puissances non signataires; mais qu'elle restait bel et bien obligée dans tous ses rapports avec les ressortissants des puissances signataires, comme la France; que pour être exonérée à notre endroit, il lui aurait fallu, six mois d'avance, dénoncer les traités. - L'officier juriste approuva mes paroles. - J'ajoutai 2° que, quant au blocus, sans prétendre à une compétence spéciale dans ces questions, cependant je croyais me souvenir que l'Angleterre avait déclaré son blocus en Mars 1915, un mois après le blocus dénoncé contre elle par l'Allemagne, en février; que le blocus anglais n'était donc qu'une réponse au blocus allemand. - Le juriste: Mais l'Angleterre bloque les Neutres. - Moi: Et vous, vous les torpillez. -Le juriste: Nous les torpillons, mais l'Angleterre les a bloqués auparavant. Moi: Oui, vous répondez à l'Angleterre; mais elle-même vous répondait:
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l'Allemagne qui a commencé. – 3° Quoi qu'il en soit, et quelles que soient les rigueurs du blocus anglais, il ne peut autoriser l'Allemagne à nous prendre notre blé jusqu'à la dernière gerbe, toutes nos pommes de terre et toutes nos betteraves, notre sucre jusqu'au dernier grain. Le devoir de l'Allemagne est de nous laisser vivre de nos récoltes: et elle ne le fait pas.
La lecture continue alors. Après avoir prétendu que le mémoire, en certaines parties, appuyait ses affirmations sur des renseignements incomplets ou inexacts, la réponse entame la question de la propriété privée. Elle reconnaît l'obligation de respecter les biens dés particuliers inscrite à l'article 46; mais elle soutient que d'autres articles, en particulier l'article 53, autorisent certaines mainmises sur ces biens. - Moi: Il peut se faire que je me sois trompé, et je ne demande pas mieux que d'être éclairé, tout disposé à reconnaître des erreurs qui seraient prouvées. Quant à l'article 53, je veux bien l'examiner avec vous. Avez-vous le texte de La Haye? - Non. - Permettez-moi d'aller le chercher. Pendant ma courte absence, les officiers se sont concertés. A mon retour, l'officier secrétaire me dit: Monseigneur, nous serions très heureux de causer tout à l'heure avec vous, mais évidemment nous n'avons pas autorité pour discuter ces questions; notre mission se borne à vous donner lecture de cette réponse. - Moi: Parfaitement. Cependant, comme vous m'apportez une réponse, vous avez qualité pour transmettre à l'autorité dont vous êtes les représentants, les quelques remarques suggérées par cette réponse. Au demeurant, ces remarques elles-mêmes, faites au pied levé, risquent de n'avoir pas toute la portée rigoureuse et toute l'exactitude que je voudrais leur donner. Je vous serais reconnaissant de me laisser le texte que vous me lisez ou du moins de me permettre de prendre des notes. - Nous ne sommes pas autorisés à vous laisser ce texte; nous n'avons pas encore vu le général von Marwltz
avec qui nous avons rendez-vous à midi. Mais nous demanderons l'autorisation
de vous remettre nos notes, et une fois rentrés au Grand Quartier, nous vous
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les enverrions. Au reste je lirai lentement, et je relirai, si vous le désirez. -
C'est cela; quand vous m'aurez envoyé le texte écrit, je l'étudierai. Si je me suis trompé en certains points, ne doutez pas que j'hésite à le reconnaître. Si je pense ne m'être pas trompé, je me permettrai de vous apporter les preuves de mes allégations. - Le secrétaire: Oui, Mgr, des preuves.
La réponse aborde alors la question des industries ruinées, de nos usines privées de leurs matières premières et de leurs métiers. Elle invoque l'article 23g, qui autorise les destructions et les saisies dans les cas où elles "seraient impérieusement commandées par les nécessités de la guerre". Elle assure que du reste, les torts causés par l'enlèvement des machines et des marchandises seront compensés par l'Allemagne et qu'une commission est déjà nommée pour établir les principes et les bases des dédommagements. - Moi: Permettez-moi de vous faire observer qu'à mon sens l'article 23 ne s'applique pas aux actes visés par mon mémoire et que le faire intervenir ici, c'est lui donner une signification trop large. Sans nul doute, les circonstances impérieuses, les nécessités de la guerre qui exigent destructions et saisies, sont celles des champs de bataille. L'ennemi s'est installé dans une usine. Pour le déloger vous bombardez et détruisez le bâtiment, rien de plus légitime. Mais dans un territoire d'étape, dans une localité située à 20 kilomètres et plus, du front, saisir tout un matériel d'usine au nom des exigences impérieuses des nécessités de la guerre, me paraît absolument dépasser la pensée et les termes de la Convention de La Haye. - Assentiment du juriste. - Je continue: D'ailleurs, ces destructions faites systématiquement dans les usines font courir un grand péril à l'Allemagne. Il vous faudrait voir et entendre beaucoup de vos soldats occupés à perquisitionner dans les grandes maisons ou à opérer des saisies ou des destructions dans les usines. Ils ont perpétuellement à la bouche le mot: Capitaliste, Capitaliste! Et plus ils le prononcent, plus ils mettent d'entrain à prendre et d'énergie à détruire. On sent qu'ils en
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veulent moins au Français qu'au capitaliste, que celui-ci est pour eux le véritable ennemi. Si l'on songe que l'armée maintenant c'est le peuple, voilà donc le peuple allemand formé de par l'action de ses chefs, à la destruction de la propriété capitaliste. Quand il se sera ainsi exercé chez nous pendant trois ans, une fois rentré dans ses foyers, il pillera et détruira les usines allemandes. Cette façon de procéder, croyez-moi, développe grandement le socialisme dans votre peuple. - Le juriste: C'est vrai, c'est le grand péril.
Vient la question du commerce. La réponse prétend que tout, sur ce chapitre, est irréprochable. Que toujours le soldat allemand paie largement et consciencieusement tout ce qu'il achète; que les réquisitions de marchandises ont été régulières; que si les magasins se sont vidés, la faute en est au blocus; qu'en France, les magasins aussi sont vides. Les chaussures de femmes ont été réquisitionnées pour de pauvres émigrées nu-pieds; et les voitures d'enfants étaient destinées à porter les modestes bagages de ces mêmes émigrés. - Moi: Dites aussi qu'on voulait les employer pour charrier les mitrailleuses, vous voyez que je vous aide à me répondre. - Le juriste: On ne nous avait pas donné ce détail. - Moi: Je l'ai entendu dire. Evidemment, je n'y suis pas allé voir. Quoi qu'il en soit sur tout ce chapitre du commerce, je crois qu'il me sera facile de vous adresser quelques remarques, quand vous m'aurez fait parvenir votre écrit. En attendant, si nous envisageons le traitement réservé à notre agriculture, on peut – c 'est l'avis de nos fermiers - affirmer que la manière d'agir de l 'administration allemande a manqué d'habilité. Excusez, Messieurs, la liberté de mon langage. Il me semble qu'elle est autorisée par le souci de la vérité et de sincérité auquel je tiens à obéir exclusivement. Eh bien! si l'administration allemande, au lieu de substituer ses hommes, ses méthodes et ses réglementations infinies à nos hommes et à nos méthodes, avait laissé nos agriculteurs libres de continuer leur travail accoutumé; si, au lieu de démonter fabriques de sucre, de batistes et de chicorée, elle avait permis la marche de ces
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industries alimentées par les produits du pays; si elle avait autorisé les populations à vivre de ses récoltes et s'était contentée d'acheter à un cours raisonnable les denrées amenées sur le marché, ces denrées seraient venues si abondantes que l'armée allemande aurait pu s'en procurer plus que ne lui en ont assuré toutes ses saisies. Le sol mieux travaillé, aurait été plus fertile; l'agriculteur aurait eu courage et confiance. L'Allemagne aurait combattu la famine, tandis qu'avec ses procédés, elle l'a aggravée. Remarquez, Messieurs, que je n'ai aucune prétention à soigner les intérêts allemands - nous le croyons facilement, interrompt le juriste -, et ce que je vous en dis est dicté par simple amour de "l'esthétique" et de la vérité objective.
Vous avez réclamé d'être gouvernés selon les lois de votre pays, poursuit la réponse. Or c'est la constante pratique de notre administration. - Moi: Tenez, vous allez voir tout à l'heure le général von Marwitz. Eh bien! il pourra vous montrer une affiche signée de lui ou il est annoncé que les délits relatifs au travail seront jugés et punis selon "le droit allemand". Vint après cela le paragraphe des logements et des expulsions de familles pour installer dans leurs demeures des services de l'armée. Cela est nécessaire parfois, dit la réponse, pour éviter l'espionnage et le sabotage. En France, on procède de même. - Moi: Vous venez de parler d'espionnage. Et en vérité, l'Armée Allemande semble hantée de la peur de l 'espionnage. Elle voit facilement des espions là ou il n'y en a pas. Cela vient d 'une profonde méconnaissance de l'âme française. Par tempérament, nous autres, nous ne savons, nous ne voulons pas faire d'espionnage. Nous en avons horreur. Mes prêtres en particulier, ont beaucoup souffert à cause des soupçons qui planaient sur eux. Ils sont intelligents et très patriotes. Ils ne sont pas espions. Ils sont à leur affaire morale et spirituelle. Ils se renferment dans leur ministère religieux. Peu d'entre eux en sont sortis, légitimement du reste, pour rendre des services matériels, quand les municipalités étaient désorganisées. Je gagerais que depuis trois ans, pas
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un seul d' entre eux n'a commis le moindre acte d'espionnage. Je vous en prie, Messieurs, ne vous appuyez pour nous juger que sur la psychologie française.
Les perquisitions d'autre part, dit la réponse, ont été rendues nécessaires par les populations françaises elles-mêmes, qui ont refusé de répondre aux questionnaires posés. Il a fallu alors entrer dans les domiciles. - Moi: Et on y est entré, et on y entre sans cesse, sans relâche, de la façon la plus irritante. La population se tait parce qu'elle est comprimée. Au fond la haine grandit. Dans un siècle elle ne sera pas éteinte. Il y a des maisons dans lesquelles on perquisitionne pour la dixième fois. Et comment le fait-on? Les meubles sont fouillés, les tiroirs sont retournés, les coffrets ou dorment les souvenirs les plus sacrés et les plus intimes sont violés, des mains sans respect froissent et brisent ces souvenirs; les planchers sont soulevés, les murs éventrés, les tapisseries arrachées, les plafonds abattus; pour quelques grammes de cuivre, on déchire des pendules de 500 Fr. Rien n'est plus crucifiant que ces investigations à jet continu. Si vous voulez faire des perquisitions, il fallait vous contenter d'une ou de deux. Et si vous avez quelque pouvoir sur ce point, je vous supplie de faire cesser de tels procédés. - Ces messieurs ont pris note de ce point. La question des réquisitions de services fit l'objet de longues considérations de la réponse. Il y était dit que ces réquisitions sont inscrites dans la Convention de La Haye: que l'Allemagne a soin de ne violer en quoi que ce soit ses engagements; que plusieurs centaines de mille ouvriers travaillent librement en France et en Allemagne; que l'autorité allemande leur donne des salaires supérieurs à ceux qu'ils auraient en temps normal; qu'elle leur accorde de grandes facilités de relation avec leurs familles; que, s'ils sont malades, elle les fait soigner avec une vive sollicitude dans les hôpitaux; que le Saint-Père a été instruit des principes auxquels l'Allemagne obéit dans ces matières et qui excluent la contrainte, la participation à des opérations militaires, et les dangers du front; qu'enfin
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une commission a visité dernièrement les camps d'ouvriers civils et militaires et les a trouvés exemplaires. – Moi: Il est vrai que la Convention de La Haye permet les réquisitions de services, mais à mon avis, la pensée des plénipotentiaires a été qu'on requerrait de chacun des services en rapport avec ses aptitudes et sa profession: qu'on demanderait du travail de chaussure aux cordonniers, des terrassements aux manœuvres et des écritures à l'homme de bureau. Jamais on n'a entendu qu'il serait permis d'exiger de tous indistinctement des besognes de terrassiers. Or c'est ce qui se fait: ici, à Cambrai, la population masculine est forcée de travailler. Elle le fait sur le front, dans les tranchées; nous avons bien lu dans la Gazette de Cologne que l'Allemagne avait affirmé au Pape que les civils étaient libres de consentir au travail, et qu'ils étaient occupés loin du danger, à des besognes qui ne froissaient pas leur patriotisme. Comme c'est le contre pied de ce qui a lieu, nos populations en ont conclu qu'on trompe le Pape. Nous avons fait une réclamation. On nous a répondu que les travaux exigés étaient dirigés contre les Anglais et non contre les Français et que dès lors ils étaient permis, comme s'il ne s'agissait pas de notre propre sol et de nos alliés. - Ici, le juriste bondit sur son fauteuil, et demande: "Qui a fait cette réponse?".- Elle a été faite à la Commandanture même de Cambrai. - Il en prit note et ajouta: C'est absolument contraires aux instructions du Haut Commandement; qui ordonne de pareils travaux? Est-ce la Commandanture de Cambrai? - Je vous ai parlé de la Commandanture parce que c'est elle qui nous a transmis, non en son nom, mais de la part d 'une autorité supérieure, la réponse à notre réclamation. Quant aux colonnes ouvrières j'ignore le détail de leur organisation. Il y en a qui dépendent de la Commandanture, il y en a qui dépendent d'autres services. Tout ce que je puis affirmer, c'est que les ouvriers civils très nombreux, sont, malgré eux, obligés de travailler sous le canon anglais, à des tranchées et abris. - C'est absolument défendu, répond le juriste. - Je continue: On m'a même assuré que dernièrement des ouvriers ont été occupés dans
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la direction de la ferme de Bonnavie, à 3 kilomètres des Anglais. On m 'a
raconté aussi qu'un des ces jours, les obus ayant détruit des fils de fer posés par nos hommes, ceux-ci ont du remplacer ces fils de fer le lendemain. Vous avouerez que c'est travailler sous le feu. - Le juriste: Monseigneur, je vous donne ma parole que cela va cesser. L'autorité allemande n'a jamais prescrit des travaux à cette proximité du front que par représailles. En dehors de là, elle les défend rigoureusement. Nous allons dès aujourd'hui nous occuper de cette question. La France nous a toujours affirmé qu'elle tenait au loin nos prisonniers; et récemment nous apprenions qu'il y a un camp de prisonniers allemands à 10 kilomètres du front. - Moi: Je ne sais ce qui se fait en France; mais ce que je sais, c'est que ces temps sont fertiles en fables, qu'il y a des prisonniers qui inventent de véritables romans, qu'il est très difficile de savoir d'un coté de la ligne de feu ce qui se passe de l'autre coté. Il faut vérifier dix fois avant d'accepter certaines affirmations.
Il s'agit ensuite des sanctions et des plaintes du mémoire au sujet d'emprisonnements injustifiés. La réponse affirme la grande modération de la justice allemande. Les tribunaux n'ont jamais condamnés injustement. Des personnes certainement coupables ont souvent été acquittées. La peine de mort, cependant admise par la Convention de La Haye, a été très exceptionnellement appliquée. "Monseigneur l'Archevêque, conclut-il,
n ' aura-t-il pas confondu emprisonnement avec internement? L 'internement dans certains cas est admis par le Droit des Gens. La France elle-même l 'a pratiqué, elle qui a interné des Allemands trouvés sur des navires neutres.
Moi: Je n'ai pas confondu et il me serait possible d'apporter de nombreux exemples. J'en citerai aujourd'hui seulement deux pris dans le clergé de Cambrai. Le premier concerne ce pauvre chanoine Denoyelle récemment tué par une bombe d'avion. Il avait la coutume d'aller chaque jour après son dîner faire une promenade de digestion. Un jour il s'était rendu au cimetière de Saint-Géry. Comme il sortait et qu'il était salué à titre de prêtre et d'un
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simple coup de chapeau par un passant, il est appréhendé ainsi que ce passant qu'il ne connaissait pas. Ils sont jetés en prison et ne sont relâchés qu'après huit jours, sans avoir été interrogés et sans savoir le moins du monde pourquoi ils ont été enfermés. C'est encore le vieux curé de la Gare, Monsieur Berteaux, un vénérable octogénaire, qui, un jour, est pris chez lui avec sa servante et jeté au cachot. Il n'est pas interrogé, ne sait ce qu'on lui veut. Il n'est relâché qu'après une quinzaine de jours; pareille aventure arrivait au même moment à plusieurs familles du quartier de la gare. - Le juriste prend les nom de M.M. Denoyelle et Berteaux.
Le Mémoire avait réclamé contre certaines levées ou certaines menaces de levées d'otages. La réponse ne discute pas les faits cités et se contente de rappeler que la prise d'otages est admise dans le droit des Gens. - Ouis, répondis-je, elle est admise dans les coutumes de guerre, mais elle devrait en être rayée, comme du reste aussi les représailles. Lever des otages est ordinairement frapper des innocents. Si un Cambrésien veut nuire à un de vos trains, il ira commettre son attentat à Iwuy, si c'est un habitant d'Iwuy il agira à Cambrai. Dès lors frapper les voisins de l'attentat ou les prendre pour otages, c'est frapper des innocents et se mettre en dehors des conditions de solidarité criminelle exigées par la Convention de La Haye. Ce fut le cas en 1870, à Fontenoy dont les habitants ignoraient absolument la présence de francs tireurs. - Le Juriste: II peut se faire qu'il y ait là quelque chose à réformer dans le droit des gens. On pourra y travailler après la guerre. - Moi: Oui, et nous ferons bien de nous y mettre tous.
La Réponse observe au sujet de la levée des cuivres, que pareille mesure a été appliquée en Allemagne, ainsi que d'autres mesures: nous ne sommes pas traités autrement que les Allemands. - Je proteste contre le principe de l'assimilation qui est faux. L'Allemagne est l'Allemagne et ce pays-ci est la France. Les règles de conduite doivent être différentes.
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Les Allemands ont des droits et des devoirs que nous n'avons pas. Nous avons des droits et des devoirs qu'ils n'ont pas.
La réponse soutient encore que les impôts de guerre levés sont modérés. Ils ne dépassent pas le demi-milliard pour notre pays occupé; et nous aurions eu des charges plus lourdes si nous avions habité en pays non occupé. - Je réponds que je ferai mes remarques quand j'aurai reçu le manuscrit.
Enfin la réponse tourne très court sur les questions religieuses. Elle redit le souci des autorités militaires et des aumôniers allemands pour la régularité et la liberté du culte. Elle prétend que s'il y a eu des ennuis en certains endroits, cela a été la faute des curés qui faisaient de la politique et conseillaient la désobéissance à leurs ouailles. Elle finit par l'éloge du sens profondément religieux de l'Allemagne. – Moi: J'ai la conviction que dans l'ensemble, le clergé est resté fidèle à ses devoirs et aux instructions qu'il a reçues. Si des exceptions se sont produites, qu'on me signale les faits et en cas de faute réelle, je réprimanderai les auteurs. Mais je demande plus de latitude dans la concession de laisser-passer aux membres du clergé. Les prêtres ont à recevoir chaque quinze jours le sacrement de pénitence; il leur faut pour cela voir un confrère, ils ne le peuvent pas. Ils ont des affaires à traiter avec leurs doyens et avec l'archevêché; on ne les autorise pas à voir leur doyen ni l'Archevêque. Moi-même suis traité avec la dernière rigueur. Depuis trois ans je ne suis pas sorti une seule fois de Cambrai. Toute autorisation même d'aller visiter une paroisse voisine, m'est systématiquement refusée. Et cependant les ravitailleurs circulent. Je dois administrer le sacrement de confirmation dans tout le diocèse: impossible de remplir ce devoir urgent. Il y a des questions graves à traiter dans des centres comme Douai, Valenciennes: on ne m'autorise pas à m'y rendre, ni à y envoyer un vicaire général, ni à faire venir ici mes représentants dans ces villes. En ce moment je suis dans la situation financière la plus grave, et en face du gouffre de la faillite. J'aurais besoin de mettre les choses au point,
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d'interroger, de délibérer, de prendre des décisions. Il est impossible de le faire sans me concerter avec mes principaux représentants sur les divers points du diocèse. Ce ne m'est pas permis. Depuis des mois, j'appelle auprès de moi mon vicaire général de Valenciennes, afin de traiter cette question exceptionnelle. Toujours on lui refuse l'autorisation de venir. Et cependant l'Allemagne a promis d'assurer la vie publique dont la vie et l'administration religieuse fait partie. Pensez-vous que ce soient là pour moi des conditions admissibles et que mon ministère soit possible? Je demande donc plus de liberté. Soyez sûrs que quand j'irais administrer la confirmation à Valenciennes et à Maubeuge, vos armées ne courraient aucun danger. Le clergé de par sa mission est un apôtre de fraternité, un ouvrier de réconciliation entre les peuples. Ne le découragez pas et ne lui rendez pas son œuvre impossible. - Ces messieurs prennent note de mes desiderata.
Au moment où ils se lèvent je leur renouvelle mes deux demandes
relatives au travail des tranchées et aux perquisitions. Ils me promettent de
s'en occuper. Ils me disent que dans bien des cas, des officiers inférieurs
méconnaissent les instructions du Haut Commandement: ce qui nous cause des
souffrances ignorées en haut lieu. Je confirme leur dire par le récit de la façon dont les cloches ont été brisées à la dynamite en certaines paroisses, comme à Sainte-Olle et
Rieux, malgré les recommandations formelles de l'Etat-Major de l'Armée. Ils en prennent note et s'en vont en me remerciant de la courtoisie avec laquelle je les ai reçus et dont ils rendront témoignage.
Jean Dr. Chollet
Archevêque de Cambrai
46r, obere linke Seitenecke, hds. vermutlich von Chollet: "Annex no. 2. Réponse orale à l'annexe 1. La réponse écrite n'as pas été envoyée.". Wir danken Frau Schütte für die Bearbeitung dieses Dokuments.
Empfohlene Zitierweise
Chollet, Jean-Arthur, Résumé d'un entretien avec deux officiers du Grand Quartier Général Allemand, Cambrai vom vor dem 07. März 1918, Anlage, in: 'Kritische Online-Edition der Nuntiaturberichte Eugenio Pacellis (1917-1929)', Dokument Nr. 2907, URL: www.pacelli-edition.de/Dokument/2907. Letzter Zugriff am: 28.11.2024.
Online seit 17.06.2011, letzte Änderung am 10.09.2018.