Dokument-Nr. 5158
[Locatelli, Achille]: Note sur l'enlèvement des hommes dans l'agglomération bruxelloise, vor dem 06. Juni 1917
Il y a quelque quinze jours, à Arlon, environ 300 personnes recevaient, un soir, vers 10 heures (et à partir de 9 heures il est interdit de sortir de chez soi), l'ordre de se rendre le lendemain, vers 7 heures du matin, à la gare, d'où on les expédierait vers les régions du Nord et de l'Est de la France. Les infortunés avaient été choisis par ordre alphabétique, de la lettre A à E. Ils appartenaient à toutes les classes de la société; on eût même dit que les notables avaient été visés de préférence. Aucune considération n'avait été accordée à l'âge ou à l'état de santé ou à la situation de famille.
À l'heure qu'il est, un grand nombre d'entre ces déportés sont employés, les uns au nettoyage des routes, à Montmédy et aux environs, les autres à la construction de voies ferrées dans la région de Metz.
À Bruxelles, les Allemands ont usé d'un autre procédé. Tout s'est fait dans le mystère, en dehors de tout contrôle et de toute publicité. Si bien qu'il est impossible de donner des chiffres scrupuleusement exacts. Jusqu'à ce jour, le nombre des déportés de l'agglomération bruxelloise s'élève, pour cette dernière proscription, à un minimum de 400 hommes. La plupart d'entre eux appartiennent à la classe ouvrière, ou au monde des employés de commerce. C'est à dire que du fait de cet enlèvement les familles sont plongées dans la plus profonde détresse à la fois morale et matérielle.
On sait que tous les hommes de 17 à 40 ans qui doivent se présenter au "Meldeamt" allemand ont été obligés de fournir un certificat de travail. De la sorte, en éliminant ceux qui n'avaient pas voulu ou pas pu fournir un certificat, les Allemands ont constitué des listes de soi-disant chômeurs. Ce sont ces listes qui ont servi partiellement de base au dernier enlèvement.
Le plus souvent, ces malheureux ont été appelés par une convocation individuelle leur enjoignant de se trouver, le jour suivant celui de la convocation, à la gare du Nord, à 4 ou 5 heures du matin. Quiconque refuserait d'obéir à cet ordre serait immédiatement déporté en Allemagne.
D'autres fois, lorsqu'un homme se présentait au "Meldeamt", le soldat de service chargé du contrôle, probablement sur un ordre reçu, retenait la carte d'identité du prétendu "chômeur" et lui ordonnait de se trouver le lendemain matin, à 4 ou 5 heures, à la gare du Nord, et d'être prêt à partir pour la France. La sanction, en cas de refus d'obtempérer, était la même: la déportation en Allemagne.
On laissait donc à ces malheureux bruxellois, le choix entre l'esclavage en exil, et l'esclavage en pays ennemi doublé d'une quasi certitude de mourir d'épuisement ou d'inanition.
23r
Ils sont ainsi 400 au mois qui sont partis des principaux faubourgs de la capitale: Ixelles, Etterbeek, Schaerbeek, vers des destinations inconnues du Nord de la France.En gare d'Ottignies, de nombreux voyageurs, parmi lesquels un curé du pays wallon, ont vu passer un train de déportés d'Ixelles et d'Etterbeek. Au milieu d'eux se trouverait un homme appartenant à la police ouvrière, qui remit une carte, suppliant qu'on voulût bien la porter chez lui où, disait-il, on ignorait tout de son départ.
Ceci tend à faire supposer que, dans certains cas, des hommes auraient été enlevés d'emblée, sans le moindre avertissement. Dans ces conditions, il est impossible de fournir des renseignements d'ensemble. Voici cependant quelques-uns des faits précis qui me sont connus:
A Ixelles, rue de la Paix, le fils d'un marchand de lait et d'œufs a été enlevé; rue du Cygne, 3 hommes sont également partis; à Schaerbeek, des hommes des paroisses Sainte-Marie et Saint-Albert ont été déportés de même, notamment trois hommes habitant chaussée de Roodebeek. Dans la paroisse Saint-Servais, devant l'imminence du danger, le jour de l'Ascension, à toutes les messes, l'autorité religieuse a invité ceux qui seraient dans le cas d'être enlevés, à se présenter à un endroit donné, où ils obtiendraient un paquet de vêtements et de l'argent.
Il y a des raisons de croire que ces enlèvements, ordonnés par les plus hautes autorités allemandes, ne sont pas près de finir.
Faut-il dire que les soldats et les officiers allemands ne sont pas fiers du rôle qui leur est imposé et qu'ils l'exécutent souvent avec tristesse et dégoût, comprenant quelles haines définitives ils accumulent dans ce pays.