Dokument-Nr. 10993

[Naumann, Viktor]: [Kein Betreff], 20. Januar 1923

L'année 1923 commence sous les auspices les plus funestes. Dans son cours, les effets dévasteurs de la guerre mondiale et des divers [sic] conclusions de paix qui l'ont suivi (si l'on peut appeler paix l'état d'après-guerre), se feront valoir d'une façon horrible.
Non seulement l'Europe, mais aussi le monde civilisé entier semble s'acheminer vers des catastrophes immenses. Quand la quadruple alliance, se fiant aux 14 points de Wilson, déposa les armes, voir quand la puissante Allemagne brisa elle-même les siennes, ceci se fit dans l'attente que de lourdes charges, il est vrai, ne fussent imposées à l'état vaincu, mais que la base de l'existence politique, nationale et économique ne fût pas menacée.
Cette attente a été trompée comme tout d'autres. Les divers traités de paix ont été conclus sous le point de vue des vainqueurs triomphants, ou plutôt ils ont été imposés aux vaincus sans aucune négociation, sans même tenir compte du fait que seules les choses possibles sont réalisables, mais que des exigences irréalisables doivent être, tout compte fait, aussi pernicieuses pour le vainqueur comme pour le vaincu.
Tandis qu'en général, les guerres sont la conséquence des révolutions, nous avons assisté cette fois à un spectacle bien différent. La guerre avait précédé la révolution. En Russie, elle éclata par suite d'un régime corrompu depuis plusieurs siècles, et le ressentiment des masses, contenu depuis des siècles, dépassa dans des tendances révolutionnaires tout but et toute mesure. Loin de réformer, la révolution russe ne fit que détruire. En Allemagne, la révolution n'éclata pas comme une suite d'une idée de liberté qui vivait dans le peuple, mais elle était tout seulement
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le résultat de la faiblesse des gouvernements, faiblesse qui fut mise à profit par une soldatesque désordonnée pour amener une révolution qui, dans son cours, alla peut-être loin au delà de ce qui avait été attendu par les révolutionnaires mêmes.
Lors de la conclusion des traitées qui balcanisaient toute l'Europe orientale et une grande partie de l'Asie, il se joignait aux idées révolutionnaires, sinon d'abord en Allemagne, mais dans d'autres parties du monde; la crainte d'une domination étrangère, tandis que, d'autre part, les petites nations de l'Orient, qui se constituaient subitement en états indépendante [sic], développaient un nationalisme excessif. Le monde saignant de mille plaies ne trouvait pas le repos désiré, mais était excité par de nouvelles agitations.
Aujourd'hui, la situation de l'Orient est tellement confuse que nous ne savons même pas, de quelle manière ces états ont été organisées. Personne na saurait nous renseigner effectivement sur l'existence politique de Buchara. Personne n'a des notions authentiques sur la situation de la République de l'extrême Orient, ni ne connaît les frontières entre l'Ucraine et la Russie ou celles entre la Russie et la République Géorgienne. De plus, tous ces états se regardent l'un l'autre avec la plus grande méfiance et s'arment jusqu'aux dents. La nouvelle guerre d'Orient, la résurrection armée de la Turquie engourdie, l'armement qui a lieu en Hongrie et qui ne saurait plus être démenti, la formation de fortes armées dans la Russie soviétique et dans la Pologne montrent clairement que nous sommes encore loin de la fin des révolutions et des guerres, mais que nous semblons nous
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trouver seulement au début d'une ère de conflagrations universelles, à moins qu'on ne trouve des mesures prohibitives extraordinaires et prodigieuses. En effet, il est tout naturel qu'un mouvement comme le bolchévisme qui séduit tellement les masses et qui spécule sur les instincts les plus grossières, ne puisse être vaincu en deux ou trois ans, mais qu'il exige, selon l'analogie des grands bouleversements révolutionnaires antérieurs, un temps beaucoup plus grand pour toucher à sa fin. Or, le danger éminent de ce mouvement se trouve dans le fait qu'il ne combat pas pour une réforme d'un état existant, mais qu'il aspire à exterminer par la racine toute religion et toutes mœurs, pour ériger un ordre des choses tout neuf sur les débris du passé. Et tandis que la base de la culture européenne est menacée par l'Orient, l'Europe occidentale, notamment la France, s'érige armée jusqu'aux dents, pour protéger, comme il est dit officiellement, sa nouvelle position. Mais comme on répète toujours que ces mesures de protection se dirigent en première ligne contre l'Allemagne et que cette Allemagne est tout-à-fait impuissante, plus impuissante que tout autre état européen, on ne peut voir dans cette attitude qu'un prétexte ou une erreur, et l'un comme l'autre serait fatal. Le prétexte nous montrerait ce que nous avons à attendre de la France, et l'erreur serait payé tout aussi cher par le monde, car jamais une grande puissance n'est convenue d'une erreur.
En Italie, le fascisme a triomphé. L'Italie victorieuse est pourtant malcontente, parce qu'elle n'a pu s'annexer tous les territoires à qui elle prétendait avoir un droit. Une collision avec l'état jugo-slave se dessine dans l'avenir.
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L'Allemagne se trouvait d'abord dans le délire révolutionnaire, et les phénomènes révolutionnaires les plus odieux se montraient. Les bénéficiés de la guerre se changeaient en bénéficiés de la révolution qui célébraient des orgies, tandis que la classe moyenne et l'intelligence tombaient dans la plus grande misère. Les ouvriers qui croyaient atteindre au grand terme de toutes les promesses socialistes, oubliaient qu'un peuple vaincu ne peut se relever que par le travail. La production allemande baissait, non seulement faute de matières premières, mais beaucoup plus à cause de la journée de huit heures et de la qualité détérioré du travail allemand. Les dégâts de la corruption se montraient dans tous les domaines le parlement restait au dessus de sa tâche, tant dans la force de l'assemblé nationale que dans celle du Reichstag. Le travail intense qui, sous les auspices de la maison des Hohenzollern, avait commencée [sic] dans les petits territoires de l'Allemagne du Nord, pour s'étendre sur la Prusse et s'élever, admiré par le monde, à sa dernière perfection dans l'Empire allemand, semblait anéanti d'un seul coup. L'état de Fréderic le Grand, où l'accomplissement le plus scrupuleux des devoirs par tout citoyen avait été regardé comme une conditio sine qua non, voir même comme une loi de fer, disparut presque entièrement. Là, il se montrait que l'Allemand, tellement doué et qui, à bien des égards, se range dans la première ligne de l'humanité, sans une autorité qui veille sur lui, perd son équilibre plus facilement que les membres des autres nations. Il est tout naturel qu'il se soit formé en Allemagne deux tendences [sic] radicales,
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l'une communiste, propageant l'idée des soviets russes qui au fond est étrangère à la mentalité allemande, et qui <de laquelle>1, si la misère des masses augmente encore, en pense tirer le plus grand profit. Si le prix des aliments est devenu excessif, si la production cesse et l'ouvrier est mis à la rue, leur semence sanglante doit s'épanouir. De l'autre côté se trouve la droite nationaliste, composée d'éléments très différents: les officiers qui ont perdu leur gagne-pain, la jeunesse académique plongée dans la misère, les patriotes à cœur chaud qui ne supportent plus le malheur de la patrie, affluent pour s'y ranger. Mais aussi dans ces milieux on trouve déjà souvent l'opinion qu'il vaille mieux que tout se perde, que l'Empire se décompose au lieu de persister, puisque la résurrection ne vient qu'après la mort. Quelques ennemies qui se soient la droite et la gauche, ces groupes sont d'accord dans cette seule idée; c'est pourquoi un régime de l'extrême droite serait tout aussi dangereux que celui de l'extrême gauche.
Dans ces conditions, la vie économique de l'Allemagne devait se trouver menacée grièvement, abstraction faite des dispositions du traité de Versailles qui l'entravent tellement, qu'il ne nous reste qu'un minimum d'existence, dont la dépréciation progressive du mark donne la meilleure preuve. Nonobstant, l'Allemagne a essayé de satisfaire à ses obligations, et malgré tous ses obstacles elle y est parvenue au plus haut degré et elle a tant payé, qu'aucun autre état ne l'a fait avant elle. Mais ce qui est le point le plus critique, c'est que la vie économique des anciens ennemis, notamment celle de la France, dépend des payements allemands. C'est pourquoi l'on comprend que la France tâche
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de tirer le maximum de payements de l'Allemagne. Seulement le maximum réalisable est fort discutable. Les Français ne devraient pas oublier qu'on ne saurait exiger d'une même poule qu'elle leur serve de volaille de potage et qu'en même temps ille <elle>2 ponde. La pauvre bête ne peut livrer ou un bon bouillon ou des œufs, mais l'un et l'autre est impossible. Or, la France exige l'un et l'autre en même temps; elle demande la substance même de notre économie nationale et son produit. Mais on oublie encore une chose à Paris, c'est qu'un peuple ne se livrera à un travail intense que s'il est conscient de ne pas travailler uniquement pour un autre, s'il peut se dire qu'il s'arrange lui-même de plus en plus par son travaille ininterrompu et assidu. Si cette conscience fait défaut, un peuple ne travaille pas intensément; or, on veut nous enlever le produit total de notre travaille. Mais comme nous ne pouvons travailler qu'à condition d'avoir l'espérance d'une amélioration de notre situation, espérance que la France nous enlève, elle-même empêche le développement complet de nos forces.
Ce n'est qu'avec un minimum d'espérance que l'on peut envisager l'ouverture de la conférence de Paris. Il est probable qu'on ira nous imposer des conditions que nous ne saurions accomplir, où que l'on ira nous demander des garanties qui menacent très sérieusement l'existence de l'Empire. Le Gouvernement allemand agirait d'une façon indigne si, en connaissance de ce que nous pourrions accomplir, il soussignait une traite sur l'avenir qui, au jour de l'échéance, ne saurait être payée. L'Empire allemand ne peut tirer des traites fallacieuses. Par contre il se
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pourrait bien qu'autre gouvernement, venant de l'extrême gauche, fomentant de nouveau l'idée de l'accomplissement intégral pour nous procurer un répit de quelques semaines, nous poussât définitivement dans l'abîme. Mais il se pourrait aussi que l'avènement d'un tel gouvernement provoquât un mouvement contre-révolutionnaire de la droite et, par suite, la guerre civile.
Si, d'autre part, la France prend des garanties insupportables, il n'est pas exclu que l'empire se décompose pour le moment, que de grands territoires se séparent de lui et qu'un chaos général se produise au centre de l'Europe. Mais si la France croyait alors avoir gainte [sic] cause, elle se tromperait. La politique de Louis XIV comme celle de Napoléon a fini par la défaite de la France, et, au surplus, une grande nation d'une si haute importance pour la culture comme l'Allemagne ne pourrait être assassinée. Comme plusieurs fleuves se réunissent dans le même océan, les tribus allemands se réuniront de nouveau dans l'océan de leur nationalité, et ce jour-là décidera de la chute de la France.
Or, que peut-on faire pour sauver la religion, les mœurs et la culture européennes, sans que notre continent soit baigné de sang, sans que les peuples méprisent impiement [sic] la volonté de Dieu? L'appel que l'Allemagne a adressé aux Puissances semble être en vain. Ces puissances n'ont pour nous qu'un regret dédaigneux, et les états moyens et petits entre eux ne sont matériellement pas en état de nous aider efficacement. Or, si les armes sont impuissantes, si le secours de ce monde fait défaut il n'y a d'autre secours que dans l'esprit du christianisme, qui a son représentant le plus qualifié dans ce monde dans l'auguste personne de Sa Sainteté le Pape.
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Dans un admirable message de Noël Sa Sainteté vient de prêcher aux peuples l'évangile de la vraie paix avec des paroles dictées par la plus haute charité, la plus profonde sagesse et douées d'une force de conviction extrême. Partout, où il se trouve encore dans ce monde un sentiment chrétien, cette action a été admirée et acclamée vivement. Mais le peuple allemand, poursuivi par des malheurs, entouré par des ennemis, attend encore plus que cela du privice<nce>3 de la paix qui trône au Saint-Siège… Il est rempli de confiance que la voix <du>4 suprême pontife, protecteur de la paix sur ce monde, se fasse entendre plus hautement que celle de ceux qui commandent des millions d'hommes armées. Jamais le monde n'a été plus en misère, jamais la culture de l'Humanité a été plus menacée que dans les jours obscurs, où Grégoire le Grand adressait, dans Rome déserte, ses paroles émouvantes à la chrétienté. Il semble que le temps de Grégoire le Grand soit revenu et nous attendons et désirons de Sa Sainteté une action comme celle de Grégoire. Nous nous adressons au suprême pontife de l'Eglise catholique, je dirai même, nous exigeons de lui que, en vertu de sa suprême fonction et de sa vocation divine, il fasse un nouvel essai pour contribuer à détonner d'un grand peuple l'extrême misère, la dernière détresse, la décomposition nationale, la guerre civile et l'esclavage voilé. En 1917, dans un mémoire adressé à Sa Sainteté, le Pape Benoît, j'osai écrire: "Si Léon s'opposait à Attila, <Benoît>5 peut s'opposer à Poincaré." Ce mot, je le répète aujourd'hui, m'y sentant autorisé, car s'il s'agit de l'existence d'un peuple entier, chaque citoyen de ce peuple a le droit, même le devoir, d'implorer et d'exhorter celui qui peut aider.
Et qui nierait que Sa Sainteté ne soit autori-
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sé par son office ainsi que par sa personne de parler aux peuples de la terre?
L'Allemagne se trouve menacée par le double danger extérieur et intérieur. Comment Sa Sainteté, si elle le trouve bon dans sa Sagesse, ne saurait contribuer à détourner ces périls? A mon avis, une encyclique adressé à l'épiscopat du monde entier, serait des plus efficaces. Peut-être même, le Saint-Père, en s'adressant à la Chrétienté universelle, pourrait faire valoir que la loi divine de la charité, de la souffrance et du pardon est au-dessus de toute loi humaine, et que, par conséquent, chaque évêque et chaque chrétien pieux a le devoir de contribuer pour sa part à amener une paix véritable. Le Saint-Père peut être convaincu de ce que le Gouvernement et le peuple allemands ont la ferme volonté de faire tout ce qu'ils peuvent pour vivre et travailler en paix. Mais celui qui demande plus que le possible offense la loi chrétienne, la loi morale et le droit écrit et non écrit des peuples. Loin de nous autres allemands de demander une action du Saint Siège exclusivement pour nous. Nous <ne>6 demandons pas, nous ne pouvons pas demander un parti pris. Ce que nous demandons du Saint Père, c'est que, représentant qualifié de la foi chrétienne, il exhorte les peuples à remplir leur devoir chrétien et moral, en prononçant des paroles d'airain pareilles à celles qu'a parlé Saint-Paul. S'il s'agit de la vie ou de la mort d'une nation entière, cette prière ne semble pas injustifiée.
Mais l'Allemagne est aussi menacée des dangers intérieurs les plus graves. Car au moment où la dictée française sera exécutée, nous ne nous trouverons pas seulement menacés par des révolutions venant de droite ou de
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gauche, non seulement par des guerres civiles, mais le parti du Centre pourrait aussi s'adonner à l'idée fatalement trompeuse d'essayer encore une fois la politique irréalisable de l'accomplissement intégral en communauté avec le parti socialiste. Le résultat d'une telle tactique ne serait non seulement pas le démembrement accéléré de l'Empire, mais elle échouerait en même temps par le fait qu'une chose irréalisable ne saurait jamais être réalisée. C'est pourquoi l'on pourrait imaginer d'adresser un conseil inofficiel aux chefs du parti du Centre de ne pas s'engager dans une politique de promesses qui se trouveraient irréalisables. De plus, il faudrait penser à maintenir l'ordre public et moral en Allemagne même dans la détresse et dans le danger extrêmes. Et ne serait-il pas possible d'y contribuer par une lettre de Sa Sainteté écrite à l'Episcopat allemand ou par un message adressé au peuple allemand? Le peuple allemand devrait être instruit très sérieusement de ce qu'il a le devoir de seconder son Gouvernement surtout dans les temps critiques que chaque désir justifié ou injustifié des individus ne peut faire loi, que la main de Dieu ne pourra de nouveau bénir le peuple allemand, que s'il poursuit son chemin de Calvaire en pleine confiance et rempli d'une volonté ferme, s'il prend sa croix sur ses épaules et souffre dans l'espoir que la résurrection suivra le crucifiement.
Il est peut-être hardi de s'approcher de Sa Sainteté avec une telle prière, mais qui comprendrait aujourd'hui mieux les souffrances des individus comme telles d'une nation entière que le suprême pontife qui trône comme successeur de St. Pierre sur le siège épiscopal de Rome? Plein de cette confiance, j'ose m'approcher de Sa Sainteté pour l'implorer de bien vouloir m'écouter.
1Hds. gestrichen und eingefügt von unbekannter Hand.
2Hds. gestrichen und eingefügt von unbekannter Hand.
3Hds. korrigiert von unbekannter Hand.
4Masch. eingefügt.
5Masch. eingefügt.
6Hds. eingefügt von unbekannter Hand.
Empfohlene Zitierweise
[Naumann, Viktor], [Kein Betreff] vom 20. Januar 1923, Anlage, in: 'Kritische Online-Edition der Nuntiaturberichte Eugenio Pacellis (1917-1929)', Dokument Nr. 10993, URL: www.pacelli-edition.de/Dokument/10993. Letzter Zugriff am: 28.04.2024.
Online seit 24.10.2013.