Dokument-Nr. 493
Jonckx, Alphonse T. M. an [Pacelli, Eugenio]
[Bad] Salzufflen, 22. November 1918

Monseigneur,
Ce n'est pas l'ancien plénipotentiaire aux affaires étrangères du Raad van Vlaanderen, ni même simplement le nationaliste flamand qui vous écrit, car on nous a formellement défendu, à nous, réfugiés politiques, de faire ici de la propagande; c'est le catholique, c'est le correspondant belge de l'A.I.R., c'est surtout le rédacteur en chef de la "Correspondance Catholique", de fond, qui profite de son séjour dans votre ressort, Excellence, pour adresser à son abonné de marque les quelques mots.
Vous avez bien voulu vous intéresser à la cause flamande. Elle est, au fond, une cause catholique, comme M. le Secrétaire Général Ver Hees, l'envoyé officieux du Raad van Vlaanderen, eut l'honneur de vous expliquer, à Munich, en septembre 1917. Rome n'est pas restée indifférente à notre lutte: sa réserve vis à vis du cardinal de Malines et l'entretien que MM. les plénipotentiaires Ver Hees et Brys eurent, l'été dernier, avec l'aimable Mgr. Chiasso, en sont les indices positifs. Beaucoup de prêtres flamands nous confièrent avec une Joie qu'ils sont tenus de céler, combien grande était, dans les milieux malinois, l'hésitation provoquée par les nouvelles venues de Rome. L'attitude des professeurs de Saint-Louis, leur admiration bruyante pour "le grand cardinal", les égarements de leurs élèves à l'adresse du Saint-Père, égarements scandaleux que la presse dénonça sans recevoir de démenti, trahirent l'émotion ressentie à Bruxelles, dans le parti "belge", depuis qu'à Rome, on parlait des "aspirations légitimes des peuples" et que le fransquillon qu'est M. Jules Vanden Heuvel n'avait pas que se rassurer si ces propos augustes ne concernaient aussi le peuple flamand.
Dans l'archidiocèse on ne parlait plus du péché mortel d'activisme solennellement proclamé par Son Eminence même dans une conférence des supérieurs de collèges. Le mémoire que
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les notables de l'archidiocèse, le représentant Henderickx et les directeurs généraux des ministères en tête, avaient adressé à Sa Sainteté, pour se plaindre de cette persécution, y fut pour quelque chose. Le refus des autres évêques – ils sont tous flamands – de se solidariser avec Malines contre l'activisme flamand paralysa aussi l'offensive "belge" des cardinalistes. Mon évêque, Mgr. Seghers, dans un entretien qu'il accorda à M. le professeur Beyerle, de Munich, rassura la conscience de ses diocésains. Sa Grandeur déclarait qu'elle nous laissait libres d'être membres au Raad van Vlaanderen et de travailler à la séparation administrative de la Flandre et de la Wallonie. L'évêché se dispensa aussi de blâmer ceux des nôtres qui avaient collaboré à la flamandisation de l'Université de Gand. J'étais nommé professeur à la faculté de droit de l'illustre Académie rendue à la culture nationale flamande. La flamandisation de l'Université gantoise, qui fut, depuis des années, le point capital du programme flamand, fut reçue par notre population avec une faveur inouïe. Six cents étudiants se proposaient de suivre les cours, à la rentrée de 1918, qui se célébra le 16 octobre dernier. La solennité était rehaussée de la présence d'une délégation imposante de la Frontpartij, en uniforme. Les soldats flamands, qui composent 80 % de l'armée belge, prenaient ainsi sous leurs auspices, ce qu'ils appellent le symbole de l'autonomie culturelle de la patrie flamande. La Frontpartij faisait cause commune avec l'activisme! Cela dénotait un revirement du parti passiviste du député catholique Van Cannelaert, refugié en Hollande, et promettait le rapprochement, gage de la victoire finale, entre les activistes et les passivistes flamands. Si les passivistes avaient, en principe, différé la réalisation du programme flamand, jusqu'après la guerre, c'était dans l'idée que la guerre ne fût pas de trop longue durée. Dans le concept des activistes, la guerre et la présence de l'ennemi sur le territoire national n'étaient pas un obstacle à la réalisation du droit du peuple flamand. L'union des Flamands allait mettre le sceau à l'indépendance flamande, déjà proclamée par le Raad van Vlaanderen, le 22 décembre 1917.
Mais les événements ne le permissent pas.
Le Gouvernement du Havre revint. C'était l'exode volontaire sinon forcé des activistes, à qui, une disposition complétant illégalement le Code pénal – jusqu'ici resté pur de toute loi de parti – réservait des peines extraordinaires.
Les activistes, membres du Raad van Vlaanderen, fonctionnaires des ministères flamands, professeurs et étudiants de l'Université
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de Gand, écrivains, orateurs et autres propagandistes, se sont réfugiés en Hollande ou en Allemagne. A Salzuflen nous sommes 115. Les activistes wallons sont, dit-on, à Cassel. Le comité exécutif du Raad van Vlaanderen a son siège à La Haye. Avant de quitter le sol flamand, il a publié une proclamation que la presse allemande a reproduite. Le Comité adopte le point de vue de la minorité "unioniste" du Raad van Vlaanderen: Les Etats fédérés – "unis" – de Flandre et de Wallonie. La majorité du Raad van Vlaanderen est "Jong Vlaming" (jeune-flamand): La Flandre, Etat simple, souverain et indépendant. Ce serait forcément un Etat catholique. C'est le motif pour lequel les flamingants comme le socialiste Camille Huysmans ne veulent pas d'un Etat flamand. Ils se contentent pour la Flandre d'une autonomie culturelle (Université, etc.) et rejettent l'autonomie politique. Ils veulent conserver le parlement "belge" unique, où les Wallons libres-penseurs sont confondus avec les Flamands croyants, parlement dans lequel, grâce aux concours anticléricaux des grands centres flamands, comme Gand, Anvers, Bruxelles, on puisse espérer réunir une majorité anticatholique, à même d'imposer aussi à la Flandre une législation "émancipatrice"… Les flamingants socialistes – ils sont très peu nombreux - sont donc hommes de parti avant d'être nationalistes. Le parti libéral officiel est ouvertement antiflamingant, il est essentiellement maçonnisant et nourrit les mêmes desseins qu'un Camille Huysmans. Le chef des libéraux bleges, Fr.: Paul Hymans, ministre des affaires étrangères est celui qui a dit: "Une université flamande? – Jamais!"
Dans l'entretemps nous voici à Salzuflen, attendant l'amnistie.
Au mois de septembre dernier, deux membres de la Commission des plénipotentiaires (Commissie van Gevolmachtigden) du Raad van Vlaanderen, les professeurs Tack et de Decker, furent reçus à Spa, par le chancelier von Hertling. Celui-ci – on était en plein "abbau" de la Flamenpolitik – dit à nos amis: "Le moins que nous puissions obtenir pour les activistes flamands, c'est l'amnistie, car leur action est honnête."
Le chancelier catholique n'est plus. Qui obtiendra, qui sollicitera l'amnistie pour les Flamands? Nous sommes pauvres, la politique ne nous a pas enrichis. En ce sens encore il peut se comprendre pourquoi notre action a pu être proclamée "honnête". Nos adversaires "belges", à défaut d'autres arguments, nous accusaient cependant d'être vendus à l'ennemi; ils citaient même des chiffres. Voir la presse "belge" [émancipée] en Hollande et en France: "Echo belge", "Belgisch Dagblad", "XXe Siècle", etc. Nous sommes pauvres. Si notre exil doit durer au delà de la Noël, la plupart d'entre nous n'aurons plus que leur idéalisme et leur indéracinable
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espoir dans la bonté, la grandeur, la sainteté de leur cause, pour se tenir debout!
On pourrait difficilement exiger des Flamands d'introduire eux mêmes la demande d'amnistie. Les peines comminées contre eux sont un pur acte de vengeance, un coup de parti, perpétré par une autorité excédant ses pouvoirs. L'arrêté-loi – ce qui est une forme de disposition ignorée du droit publique belge – du 8 avril 1917, a, de l'aveu de ses auteurs contenu dans le rapport au Roi – pour but de "compléter" le Code pénal. En effet, l'activisme, s'il avait pu pécher contre le loyalisme officiel – mieux dit contre l'opportunisme intéressé des anciens partis – n'était pas sorti de la légalité. Les franquillons – un parti donc – menacés dans leur Règne ont incité le gouvernement à prendre – sous couleur de patriotisme – une mesure extra-légale pour terroriser la masse sans cesse croissante des activistes flamands.
On ne doit pas s'attendre à ce que les gouvernants belges prennent l'initiative de l'amnistie. Déjà ils en ont laissé passer une bonne occasion: la rentrée solennelle du Roi des Belges dans sa capitale, la libération totale du territoire belge. C'eût été un beau geste du Souverain invitant son peuple à la réconciliation et au travail commun pour la restauration de la patrie! C'eût été magnanime; mais le franquillonisme matérialiste est incapable de générosité. On peut être absolutiste, franc-maçon, anarchiste, on ne tolère pas le "flamingant". Le cardinal se jettera dans le bras d'un Briand, aux sons de la Marseillaise, comme cela se passa à Rome même; un prince de l'Eglise, un héritier présomptif de las tiare papale s'unira aux pires des Garibaldiens pour crier: Vive l'Italie! C'est du plus pur patriotisme... Mais un nationaliste flamand, préfet de toutes les confréries religieuses, communicant quotidien, rencontrera un évêque "belge" pour anathématiser le misérable. – D'ailleurs les flamingants ne sont plus un danger immédiat: leurs chefs sont partis; on peut faire semblant de les ignorer. C'est une solution élégante de la question de l'illégalité du fameux arrêté-loi. On a aidé à cette "fuite" des activistes, en les menaçant longtemps d'avance de toutes sortes de représailles de la part de la foule indignée, lorsque celle-ci sera libre d'exprimer l'indignation de la "nation". Ces excitations savantes – les catholiques de tous les pays ont éprouvé les effets de ces manifestations "spontanées" de la "désapprobation populaire" – ces excitations n'ont pas étés vaines: par exemple, le domicile du soussigné a été saccagé. Le trio de malandrins soudoyés qui s'est rendu coupable de cet acte patriotique ont bien vengé la clique minuscule de fransquillons gantois de tous ces cortèges inter-
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mirables de manifestants nationalistes sillonnant la vieille cité des Artevelde pour célébrer la proclamation de l'indépendance flamande ...
Les 125.000 nationalistes actifs, restés dans la patrie sans chefs, terrorisés, n'oseront d'ici très longtemps affirmer leur solidarité avec les exilés pour demander leur retour.
Les passivistes de M. van Cannelaert, politicien opportuniste, s'ils ont juré de continuer sous le gouvernement revenu l'action commencée par les activistes sous l'occupation ennemie, craignent trop, en cas de succès, de devoir partager les fruits du résultat final avec les hommes de la première heure, pour rappeler les activistes.
Entretemps – alors que toutes les nationalités devenues libres chantent victoire et forment les projets les plus grands – les pionniers du nationalisme flamand sont abandonnés dans un pays inhospitalier, remplis d'angoisse pour l'existence de leurs nombreux petits enfants, premières victimes innocentes de l'idéalisme désintéressé de leurs parents patriotes.
Veuillez agréer, Monseigneur, l'assurance de mon profond respect.
Jonckx
Empfohlene Zitierweise
Jonckx, Alphonse T.M. an [Pacelli, Eugenio] vom 22. November 1918, Anlage, in: 'Kritische Online-Edition der Nuntiaturberichte Eugenio Pacellis (1917-1929)', Dokument Nr. 493, URL: www.pacelli-edition.de/Dokument/493. Letzter Zugriff am: 29.03.2024.
Online seit 17.06.2011.