Dokument-Nr. 673

Comment la Russie a préparé la guerre, November 1916

L'ordre de mobilisation russe, dont le Chancelier a fait mention dans son discours
du 9 novembre, fournit une preuve flagrante de la créance qu'il convient d'accorder aux assurances pacifiques données alors par la Russie. L'ordre donné le 30 septembre 1912 a soulevé un coin du voile et découvert les intentions agressives de la Russie contre l'Allemagne.
La Russie avait procédé en secret à de fiévreux préparatifs de guerre longtemps avant l'été de 1914 et la mobilisation officielle. Le fait est connu de tout le monde aujourd'hui. Les fouilles dans les archives et les procès-verbaux dressés à ce sujet dans le Gouvernement général de Varsovie et dans divers autres Gouvernements, ne laissent plus aucun doute en raison de l'existence des documents écrits.
Les Russes avaient à la vérité pris toutes leurs précautions afin d'empêcher l'une quelconque de ces pièces, importantes et compromettantes aussi, de tomber aux mains des Allemands. On a trouvé dans les archives du chef du district de Kolo une circulaire du Ministre de l'Intérieur, en date du 8 décembre 1913, au président de la ville de Kalisch et aux bourgmestres des villes de ce Gouvernement, circulaire relative aux mesures à prendre pour une guerre à venir. Un autre ordre secret, tiré des archives de Varsovie, contenait, au dire du greffier du tribunal d'arrondissement de Sochaczew, une indication exacte de tous les documents et des dépôts d'argent du tribunal d'arrondissement en question, et même la donnée précise du poids de tous les papiers et objets à emporter. En outre, tous les fonctionnaires étaient avisés de la localité russe où ils devaient émigrer en cas de guerre. Une demande fut adressée également à Kalisch pour savoir le nombre des véhicules, etc. nécessaires afin de transporter les fonctionnaires et leurs familles.
Le côté intéressant de ces mesures, qui en constitue en même temps le caractère accusateur,
c'est leur élaboration sans précédent jusque là. Il en est de même pour les autres demandes, ordres et arrêtés nombreux des autorités, tous visant à l'accélération des préparatifs de guerre dans chaque ressort. Ces fréquents appels de réservistes et territoriaux, ces recensements de chevaux répétés, ces achats de céréales, de fourrages et de matériel de guerre, dépassaient de beaucoup la mesure usitée. Ils préparaient sciemment, systématiquement, la guerre préméditée et prochaine.
Oui, la Russie voulait la guerre. Sans parler de la surexcitation de plus en plus ouverte de l'opinion publique par la presse, rappelons en passant l'étrange bienveillance subitement manifestée aux Polonais, le retrait de l'or hors de la circulation depuis 1913 et la préférence donnée à l'or allemand dans le pays. Une circulaire ordonnait même de ne laisser entrer en Russie que les personnes ayant sur elles de l'or en espèces.
Le redoublement de sévérité de la censure des lettres et des journaux pendant la première moitié de l'année 1914 ne mérite pas qu'on lui attribue beaucoup de poids. Il s'agit uniquement ici des mesures du Gouvernement russe en connexion immédiate avec l'intention de faire la guerre. Jusqu'à présent, l'entente a toujours mis en tête de ses arguments l'affirmation que la mobilisation russe du 30 juillet 1914 a été nécessitée par les mesures de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie. Pourtant, la Russie ne s'est pas contentée de préparatifs de guerre secrets. Des documents probants établissent aujourd'hui que dans certains districts, comme à Lukow et à Grodzisk, la mobilisation a été affichée dès le 29 juillet 1914, et même dès le 27 juillet, à 6 heures de l'après-midi, à Sochaczew. Or, cela se passait, il ne faut pas l'oublier, dans les Gouvernements de l'ouest, à peu de distance de la frontière. Les documents sur la mobilisation dans l'intérieur de la Russie et en Sibérie, mobilisation commencée beaucoup plus tôt, ont été naturellement difficiles à se procurer. On sait toutefois pertinemment, par des dépositions consignées dans des procès-verbaux, qu'à Kerky, dans le Turkestan, la mobilisation commença dès le 19 juillet.
Mais il faut remonter plus loin encore pour expliquer les préparatifs de guerre cachés sous le prétexte de déplacements de troupes, de manœuvres, etc.... La Russie avait déjà réalisé un renforcement considérable de ses effectifs par le seul maintien sous les drapeaux de la classe libérable à l'automne de 1913. A cette même époque, le nombre des recrues appelées dépassa considérablement le chiffre du contingent normal.
6r
Le transfert systématique de troupes de la Russie orientale et de Sibérie en Pologne date du printemps de 1914. Ces transports militaires sont faciles à constater d'une manière irréfutable par l'encombrement excessif des voies ferrées, par l'accumulation de matériel roulant et de charbon sur les points les plus importants pendant les mois et les semaines qui précédèrent l'explosion de la guerre, et aussi par le fait qu'au mois de septembre 1914, les corps d'armée de la Sibérie et du Caucase étaient déjà arrivés sur la Vistule pour y prendre part aux opérations. Toutes ces mesures de concentration de troupes et cette accélération des préparatifs de guerre suivent une progression sans cesse ascendante jusqu'au commencement de juillet. Partout règne la plus fièvreuse activité. Les permissionnaires sont rappelés, aucune permission nouvelle n'est accordée. Les corps de troupes rentrent prématurément des camps et terrains d'exercices. Les points de concentration désignés se chargent ostensiblement de nouveaux arrivages. Les réservistes sont incorporés en masse.
Comment la Russie chercha-t-elle à suppléer au manque sensible d'officiers de réserve? Un pasteur évangélique de Petrikau nous en donne une idée. D'après les déclarations de cet ecclésiastique, tous les jeunes professeurs du lycée de Petrikau n'ayant encore jamais accompli de service militaire, furent appelés à suivre un cours spécial. Au mois de mai, on leur fit déjà revêtir un uniforme d'officier, et on ne les laissa plus partir jusqu'au commencement de la guerre.
Une autre preuve de préparatifs immédiats de guerre est fournie encore par le redoublement de rigueur survenu au printemps de 1914 dans le contrôle des réservistes. C'est ainsi que les réservistes obligés d'accomplir leur période d'instruction pendant l'automne furent déjà appelés et passés à la visite médicale dès le printemps. Les recensements de chevaux pratiqués à la même époque sont plus surprenants encore. Dans le district de Ciechanow où 30 à 40 chevaux sont recensés d'ordinaire, 2.000 de ces animaux durent être présentés. Toute vente de chevaux hors du pays fut interdite, toute vente à l'intérieur dut être l'objet d'une déclaration au Gouvernement.
Les mesures générales politiques et économiques de préparation à la guerre, relatives au redoublement de l'espionnage, à l'aggravation des conditions de passeports, à l'expulsion des étrangers (sauf de ceux astreints au service militaire), aux achats, aux interdictions d'exportation, etc. etc. existent en nombre considérable. Nous citerons seulement quelques circulaires trouvées dans le district de Kolo, en en reproduisant le texte littéral:

Strictement confidentiel
Urgent.
Le chef de district de Kolo.
Gouvernement de Kalisch.
No. 204.
31 mars 1914 (vieux style).
Ville de Kolo.
Aux bourgmestres et woits du district de Kolo.
Veuillez ne faire mention par aucune indication de timbre dans les passeports gratuits d'une durée de 10 mois et demi aux ouvriers agricoles se rendant en Allemagne, que l'intéressé est réserviste ou astreint au service militaire. De plus, l'ouvrier en question devra être signalé à la police à chaque changement de localité.
Vous aurez à me rendre compte de l'exécution du présent arrêté.
Le chef de district Le chef de la police rurale
(signature illisible) (signature illisible)

Confidentiel. Très urgent.
Le chef de district de Kolo.
Gouvernement de Kalisch.
No. 408.
10 juin 1914 (vieux style).
Ville de Kolo.

Aux bourgmestres et aux woits du districts de Kolo.

En vertu de l'arrêté du Gouverneur en date du 4 juin dernier no. 124/6997, il devra m'être fourni par un messager spécial, au plus tard jusqu'au 15 juin, les renseignements suivants sur tous les étrangers:
1) Noms et prénoms des parents.
2) Date de naissance (jour, mois et année).
3) Nationalité.
4) Domicile actuel.
5) Depuis quand domicilié.
6) Pour quel motif séjournant dans le district de Kolo et par quelle circonstance.
7) Occupation actuelle et chez qui employé.
7r
Il sera bon de fournir sur chaque personne des renseignements concernant ses sentiments politiques, et d'indiquer si l'intéressé encourt le soupçon d'être un agent secret de l'étranger.
Le chef de district Le chef de section
Signé: Pozdowski Signé: Trafkowski

Très urgent. Confidentiel.
Le chef de la police rurale du district de Kolo.
No. 358.
24 mai 1914 (vieux style).
Ville de Kolo.

Aux bourgmestres, woits et maréchaux-de-logis
chefs de gendarmerie du district de Kolo.

En vertu d'un arrêté urgent du Gouverneur, veuillez (je vous ordonne de), immédiatement au reçu du présent avis, me faire connaître par un messager spécial, jusqu'au 27 mai au plus tard, le nombre des étrangers établis dans le district comme ouvriers, chefs de fabriques et directeurs d'entreprises industrielles, en indiquant leur nationalité et le temps depuis le commencement de leur entrée dans les différentes exploitations. Ajouter les renseignements concernant les motifs de leur séjour.
Pour le chef de la police rurale.
Le chef de section.
Signé: Trafkowski

Il s'agissait donc d'un contrôle secret et exact des étrangers. Les étrangers ennemis – les sujets allemands et austro-hongrois sont spécialement indiqués dans un ordre du chef de la police rurale du district de Kolo – devront être retenus en-deça de la frontière. Quant aux sujets russes astreints au service militaire et se rendant en Allemagne pour les travaux agricoles, on songeait en même temps à leur retour, car depuis le printemps de 1914 du moins, les passeports de ces ouvriers russes devaient porter un timbre rouge spécial avec la mention: "Retour au milieu de juillet".
La multitude des documents ainsi découverts est énorme. Ajoutons seulement qu'au commencement de 1914, tous les chefs de district d'origine allemande furent déplacés des territoires-frontières et transférés dans l'intérieur de la Russie, que les fonctionnaires civils astreints au service militaire furent remplacés par d'autres exempts de cette obligation, que les colons allemands eurent défense de s'établir à une distance de moins de 7 kilomètres de la frontière, et que la population allemande fut expulsée du rayon de la forteresse de Modlin. En outre, dès le commencement du mois de mai 1914, toute permission fut refusée aux hauts fonctionnaires, sous prétexte même qu'une guerre pouvait éclater avec l'Allemagne. Cette explication était donnée au moyen de formulaires imprimés, expédiés sous forme de lettre confidentielle. Un employé du bureau du chef de district de Ciechanow a déclaré sous la foi du serment avoir lu une de ces lettres confidentielles.
La Russie voulait la guerre. Chacun des faits mentionnés ci-dessus, considéré isolément, en fournit la preuve irrécusable; réunis ensemble, ils constituent un dossier écrasant. Il s'agissait d'obliger l'Allemagne à faire la guerre. La concentration des troupes eut donc lieu, les districts-frontières menacés furent évacués déjà avant la mobilisation. La chose alla même plus loin, selon les déclarations du ci-devant intendant du château de Skierniewice, d'après lesquelles, sur l'ordre du conte Wielpolski, gouverneur-général de la Principauté de Lowitsch, des caisses remplies d'objets de valeur furent enlevées du château déjà à la fin du mois de juin. Les dépositions unanimes de plusieurs concierges du château confirment que l'expédition de ces objets de valeur à Moscou et à St. Pétersbourg commença à la fin de juin et dans les premiers jours de juillet.
Empfohlene Zitierweise
Anlage vom November 1916, Anlage, in: 'Kritische Online-Edition der Nuntiaturberichte Eugenio Pacellis (1917-1929)', Dokument Nr. 673, URL: www.pacelli-edition.de/Dokument/673. Letzter Zugriff am: 27.12.2024.
Online seit 24.03.2010, letzte Änderung am 10.03.2014.